Pour un statut, une formation et une représentativité des Étudiants-Chercheurs
22 Octobre 2001
En l'espace de dix ans, le nombre de doctorants a été multiplié par 4
en France, pour atteindre aujourd'hui le nombre de 60 000 personnes.
De fait, le rôle du doctorant a également évolué : sa part dans la
production de la recherche a augmenté, sa participation à la vie des
laboratoires s'est accrue et il est devenu une pièce essentielle au
sein de la communauté scientifique française.
Toutefois, les conditions ne sont aujourd'hui pas remplies pour
permettre à chaque doctorant de travailler sereinement. En effet,
environ 50% des doctorants ne sont pas financés au début de leur
travail de thèse. L'autre moitié est financée de manière hétérogène
suivant la nature du financement (allocation du Ministère de la
Recherche, bourses régionales, contrat CIFRE, bourses d'association
caritative, ...), souvent sans protection sociale. Dans l'ensemble,
la perte d'attractivité pour la thèse est évidente : il est par
conséquent plus que nécessaire de repenser le statut du doctorant et
du post-doctorant.
Nos propositions se déclinent suivant trois axes, à savoir :
1) le cadre légal permettant aux jeunes chercheurs non-statutaires (DEA,
doctorants, stagiaires post-doctoraux) d'effectuer leur travail dans
des conditions correctes.
2) le rôle des Ecoles Doctorales dans le
parcours professionnel des doctorants, et les moyens inhérents leur
permettant de remplir cette mission.
3) la nécessité pour les jeunes
chercheurs non-statutaires d'être représentés à tous les niveaux dans
les instances représentatives (i.e. laboratoires, écoles doctorales,
universités et établissements de recherche, CNESER).
Ces propositions sont issues de réflexions menées depuis plus de 5
ans par les associations adhérentes à la CEC (consultables sur le
site web http://www.cec.asso.fr). Certaines découlent également des
conclusions de la table ronde du 14 octobre 2001, organisée par la
CEC à Paris et en présence de représentants de partis politiques
représentés au Parlement.
I. Statut social et financement des jeunes chercheurs non-statutaires
À terme, il nous semble impératif que deux principes de base soient respectés :
- Les doctorants sont productifs en termes de travail de recherche,
ils doivent donc tous recevoir un salaire décent.
- Ce salaire doit être couplé à un statut social correct (sécurité
sociale, chômage, retraite).
1) L'allocation de recherche (Ministère de la Recherche)
- La récente revalorisation de 5,5% de l'allocation de recherche (AR)
est certes un premier pas, mais il est impératif que l'effort se
poursuive sur plusieurs exercices budgétaires afin d'enrayer sa
chronique dévaluation depuis 10 ans et le déficit d'attractivité que
cette situation engendre.
- En pratique, la revalorisation de l'AR devrait se poursuivre pour
revenir au niveau qui était le sien en 1991, date à laquelle son
montant a été fixé à 1,35 fois le montant du SMIC de l'époque.
- En parallèle, un mécanisme d'indexation de l'AR doit être pensé
afin de répondre définitivement au problème. Nous proposons que le
montant de l'AR soit indexé sur le point de la fonction publique.
- Le couplage obligatoire entre monitorat et AR n'est pas une bonne
solution : il ne revalorise pas le travail de recherche des
doctorants, il passe outre les situations particulières de nombreuses
disciplines dans lesquelles il sera difficile de répondre
correctement à ce travail supplémentaire, il pose des problèmes
d'ordre pédagogique car tous les allocataires ne souhaitent pas
enseigner ou n'ont tout simplement pas les qualités pour le faire.
Enfin, il ne répond pas au désarroi des non-allocataires souhaitant
acquérir une expérience d'enseignement (voir I.2).
- Par conséquent, nous souhaitons que le monitorat en enseignement
supérieur soit proposé à tous les doctorants qui le souhaitent sans
caractère obligatoire, en particulier dans le cas des allocataires.
Nous sommes ouverts à l'idée, qui reste à discuter, du développement
d'autres formes de monitorat plus apparentées à des " missions " en
entreprise ou en administration (exemple : information scientifique,
transfert de compétence ou de technologie, mission d'expertise). Le
terme de monitorat n'est pas approprié pour ces " missions ", dès
lors que leur durée serait forcément différente (3 ans pour un
monitorat classique, quelques semaines ou mois pour les " missions ").
2) Les autres financements et doctorants non-financés
- Les doctorants financés par d'autres voies que le Ministère de la
Recherche montrent une diversité énorme quant au montant du salaire
et des droits sociaux : des mécanismes incitatifs doivent être
imaginés dans le but de tirer vers le haut l'ensemble des
financements. Cela passe par la définition d'un statut minimal du
doctorant en termes de salaire et de droits sociaux (couverture
maladie, maternité, chômage, retraite).
- Cas des bourses d'associations caritatives : ces bourses, notamment
dans le domaine des sciences de la vie (ARC, Ligue contre le Cancer)
ne donnent en général pas droit à une protection sociale de base. Il
est impératif d'inciter les associations à agir pour proposer des
salaires et non plus des libéralités. Il a été proposé d'utiliser des
modalité de type " chèque emploi-service " pour répondre à ce
problème. De plus, ces modifications impliquent (à budget constant)
une diminution importante des financements proposés par ces
associations : il faut donc en parallèle aider au développement de
financements alternatifs.
- Les bourses de régions : ces bourses sont en général alignées sur
le montant de l'AR, avec les droits sociaux qui l'accompagnent.
L'Etat doit inciter les régions à continuer leur effort pour le
développement de financements de ce type. La région Ile-de-France,
étrangement, ne propose aucune bourse d'études doctorales. Il nous
semblerait pourtant important qu'elle le fasse puisqu'une grande part
de la recherche française y est concentrée.
- Les financements faisant intervenir les entreprises sont une voie à
explorer, tant au niveau régional que national (développement des
contrats CIFRE). Un débat national sur la recherche pourrait être
l'occasion de faire preuve de pragmatisme en consultant les
entreprises sur leurs besoins de recherche. À l'inverse, il faut
inciter les entreprises à faire appel aux doctorants et aux docteurs
(l'idée de réviser le Crédit-Impôt recherche a été avancée).
- Le monitorat en enseignement supérieur est ouvert à tout doctorant
financé, mais, dans les faits, il est très souvent associé à une AR.
Nous souhaitons que le principe du monitorat ouvert à tous les
doctorants soit réaffirmé dans les faits. En effet, nous souhaitons
que les doctorants non-allocataires désirant acquérir une expérience
dans l'enseignement puissent le faire dès lors que le nombre de
monitorats prévus par le gouvernement augmente fortement.
- En guise de synthèse, on peut dire qu'il existe un grave problème
de ressources humaines pour les jeunes chercheurs non-statutaires :
il est donc urgent de leur donner une dignité via un statut décent.
Les modalités restent à définir : contrat de type CDD, contrat de 3
ans de type " emploi-jeune ", statut de " fonctionnaire stagiaire " ?
3) Autres voies possibles
- La Charte des Thèses est un engagement moral censé répondre aux
problèmes évoqués précédemment. Dans les faits, on voit bien que,
trop souvent, elle n'est pas ou mal appliquée. Il est maintenant
nécessaire de dresser un bilan sur l'application de la Charte des
Thèses. Dans le cas, fort probable, où de nombreuses déviances
seraient mises en évidence, il sera alors temps d'envisager un texte
plus contraignant, autrement dit un véritable Contrat de Thèse.
- Dans un certain nombre d'établissement, les chercheurs encadrant
les doctorants perçoivent une Prime d'encadrement doctoral,
régulièrement revalorisée. Nous demandons que l'attribution de la
Prime d'encadrement doctoral soit évaluée sur les critères suivants :
nombre de doctorants encadrés, type de financement, durée moyenne des
thèses des doctorants encadrés, nombre de publications de l'encadrant
ET des docteurs encadrés au moment de leur soutenance, situation
professionnelle des doctorants à l'issue de leur thèse. De plus, nous
souhaiterions que la liste des attributions des primes soit rendue
publique ou, à défaut, que des représentants des doctorants puissent
être associés au processus d'attribution.
- Plus globalement, on a pu constater que les responsables politiques
présents lors de la Table ronde appellent de leurs voeux un nouveau
grand débat national sur la recherche, auquel les jeunes chercheurs
seraient associés ainsi que des représentants de la société civile.
Ce débat pourrait être l'occasion pour définir le statut du doctorant
et du post-doctorant, voire de réviser la loi de 1984, dès lors que
c'est l'ensemble du monde de la recherche qui a évolué depuis cette date.
II. Les Ecoles Doctorales
L'Ecole Doctorale (ED) doit permettre au doctorant de valoriser son
expérience de la recherche, et de compléter sa formation de manière
continue. Pour cela, les ED doivent répondre à trois missions :
- Evaluation de l'encadrement et de l'application de la Charte des Thèse.
- Mise en commun des moyens pour la formation continue des doctorants
via un projet professionnel personnalisé.
- Visibilité internationale permise par la suppression des DEA.
Voici un certain nombre de propositions issues de la CEC dans le but
de renforcer le rôle des ED et de s'assurer qu'il n'y a pas la mise
en place de " filières doctorales " cloisonnées (en gros académique
vs. extra-académique).
1) La formation doctorale comme formation continue
- La CEC demande que les doctorants aient accès à des formations
complémentaires cohérentes avec leur projet professionnel et
personnel.
- Dans cet objectif, les ED doivent proposer un large éventail de
formations incluant à la fois des aspects liés à l'activité de
recherche et des aspects transversaux.
- Dans l'éventail des formations reconnues au sein des ED doivent
figurer des formations conçues et délivrées par d'autres organismes
(autres ED, organismes de recherche, organismes de formation, etc.).
- Pour enrichir le contenu des formations et en garantir la
pertinence, les doctorants doivent être impliqués à tous les stades :
propositions, conception, évaluation de ces formations.
2) L'évaluation des ED
- La CEC demande que la signature de la Charte des Thèses et sa mise
en place effective conditionnent l'habilitation et la réhabilitation
des ED.
- La CEC demande également que le ministère en charge des formations
doctorales rende public le contrat d'habilitation, le budget et les
autres informations institutionnelles relatives à chaque ED (taux
d'encadrement, de financement, de soutenance, etc.).
- L'habilitation d'une ED par le ministère doit être conditionnée par
le bon fonctionnement du Conseil de l'ED, la présence et le droit de
vote des représentants des étudiants chercheurs élus, et le
fonctionnement effectif du Conseil.
- La CEC demande l'évaluation des ED en fonction des critères
minimaux suivants :
- La mise en place d'outils de communication internes aux ED.
- Le développement de formations à destination des personnels
encadrant concernant les enjeux, les méthodes et les débouchés des
formations doctorales.`
- La mise en place d'outils pour le suivi des conditions de
l'encadrement (conseiller doctoral, comité aux thèses, tuteur, etc.).
- L'incitation à la mise en place d'une suivi scientifique avec une
certaine souplesse dans la mise en oeuvre (comité de pilotage, tuteur,
rapport, exposé des travaux, etc.).
- La mise en place d'outils pour le fonctionnement concret des ED
(Maison des ED permettant une mutualisation des moyens sur un site
donné, personnel administratif propre, budget propre et conséquent,
etc.).
- La diffusion publique, annuelle et systématique de l'information
sur le devenir des docteurs de l'ED auprès des ses membres (liste de
diffusion, site web de l'ED, plaquette, etc.).
- L'évaluation des formations complémentaires que l'ED reconnaît. La
diffusion et la discussion de cette évaluation seraient menées au
sein du Conseil de l'ED.
- L'ED incite ses membres à consulter les données publiques du
ministère concernant le contrat d'habilitation.
III. Représentativité des étudiants chercheurs
La situation des doctorants et jeunes docteurs non-statutaires est
très ambiguë (cf. le constat fait précédemment), et de fait, se
traduit par une mauvaise représentation de ce corps des étudiants
chercheurs (représentant a lui seul autant que les personnels
chercheurs et enseignants chercheurs, soit plus de 70.000 personnes)
tant dans les instances locales (universités, laboratoires, grands
établissements) que nationales (CNESER). En effet, dans le cadre de
la loi actuelle, un doctorant pourra être rattaché soit au collège
des usagers s'il est non-financé, allocataire, etc., ou rattaché au
collège des personnels s'il possède un statut de moniteur ou d'ATER.
En outre, la spécificité des étudiants de 3ème cycle pour discuter
des questions de politique de recherche est explicitement mis en
évidence par les règles d'election aux conseils scientifiques des
universités (seuls les étudiants de 3ème cycle sont éligibles).
Historiquement, les problèmes spécifiques des doctorants (qui
émergent aujourd'hui dans le débat public) n'ont pas été portés sur
la scène politique ni par les organisations représentant les
usagers, ni par celles représentant les personnels. Le fait qu'il
ait fallu attendre plus de 5 ans avant que le constat sur la
situation des doctorants et les propositions élaborées par des
associations de doctorants arrivent aux oreilles des représentants de
la nation est notamment lié à ce manque de représentativité
spécifique. Il est probable que les problèmes des étudiants
chercheurs auraient été plus rapidement identifiés si un espace
particulier d'expression avait été réservé à ce corps social au sein
des assemblées débattant des questions d'enseignement supérieur et de
recherche.
De même, du point de vue des doctorants, l'émergence d'un collège
spécifique d'étudiants chercheurs leur permettrait de prendre
pleinement conscience de la place importante qu'ils ont à occuper
dans le système et de faire face aux responsabilités intrinsèquement
liées à leur statut en terme d'acteurs dans l'orientation de la
politique scientifique mais aussi sur les questions de diffusion des
connaissances, d'éthique ou encore de transfert de technologie. Le
collège spécifique serait le meilleur moyen de préparer les jeunes
docteurs aux responsabilités qu'ils seront appelés à prendre, que ce
soit dans le système de l'enseignement supérieur et de la recherche
publique, mais aussi au sein des entreprises françaises ou des
administrations de l'Etat.
C'est pourquoi la CEC demande qu'un collège spécifique des étudiants
chercheurs, qui regrouperait les étudiants en école doctorale et les
jeunes docteurs encore en activité au sein des établissements
d'enseignement supérieur et de recherche sur un emploi non permanent, soit créé et mis en place à
tous les niveaux de représentation des différents acteurs de
l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER, universités,
établissements, écoles doctorales, laboratoires).
Confédération des Étudiants-Chercheurs
www.cec.asso.fr