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À propos de...
la Loi d'Orientation et de Programmation de la Recherche
Cette note se base sur le projet de rapport annexe à la Loi d'Orientation et de Programmation de la Recherche (LOPR) diffusé le 13 janvier dernier.
Elle rappelle, sur les questions qui portent sur les jeunes chercheurs, les orientations demandées par la communauté scientifique au moment des États Généraux de la Recherche et détaille les propositions de la Confédération des Jeunes Chercheurs pour mettre en oeuvre ces orientations.
Le rapport des
États Généraux fixait clairement comme objectif la
reconnaissance du doctorat comme expérience
professionnelle de recherche. Ce principe, cohérent avec
l'évolution historique des trente dernières années, conduit
à exiger que le doctorat se déroule dans un cadre
juridique clair, dont la forme générale est celle du
contrat de travail à durée déterminée. Ce même principe
entraîne aussi le passage à une logique de
recrutement des doctorants sur des projets de
recherche doctorale qui s'inscrivent dans la politique
scientifique des laboratoires, ce qui implique la définition
par les collectifs de recherche de procédures de recrutement
lisibles, sous le contrôle des écoles doctorales.
L'absence de ce cadre commun pour tous les doctorants induit
les dérives telles que le recours à des financements sous forme
de « libéralités » en dehors de tout contrat de
travail, ou l'absence total de financement. L'absence de
pratiques professionnelles pour l'entrée en doctorat conduit à
la mauvaise définition des travaux de recherche et à la
faiblesse du suivi des travaux et contribue en conséquence à
l'augmentation du taux d'abandon et de la durée du
doctorat.
L'ensemble des mesures proposées dans le cadre des États
Généraux avait pour but de garantir cette reconnaissance
effective du caractère professionnel du doctorat et
d'accompagner l'évolution des pratiques.
Or sur ce point central, le texte de la LOP ne dit rien. Pire,
il va dans la mauvaise direction ! Les rédacteurs
déplorent le faible intérêt du secteur privé pour les docteurs,
et alignent une série de mesures à la cohérence douteuse, sans
comprendre que tant qu'ils resteront dans la rhétorique de
l'étudiant à former à la culture d'entreprise, ils ne
valoriseront jamais le doctorat aux yeux des professionnels du
secteur privé. Ils n'attireront pas non plus les étudiants vers
le doctorat.
La réalisation
du principe décrit ci-dessus doit s'accompagner de
dispositifs adéquats permettant l'évolution progressive
des pratiques. Ces dispositifs rejoignent les
problématiques de l'évaluation.
Pour être efficace, l'action doit porter sur trois
volets :
fixer des objectifs quantifiés ;
définir les leviers et moyens permettant d'atteindre ces objectifs ;
développer les outils nécessaires au suivi des progrès réalisés.
Ceux-ci ont été clairement énoncés lors des États Généraux. On rappellera en particulier : la diminution du non financement, la résorption des libéralités, le contrôle du nombre de doctorants par encadrant, le contrôle de la durée du doctorat, le suivi de l'insertion professionnelle des docteurs, l'amélioration de l'accueil des doctorants étrangers.
Par ailleurs, ces objectifs doivent être fixés, mais encore faut-il désigner les niveaux de responsabilités dans leur mise en oeuvre pour qu'ils ne restent pas de simples voeux pieux. La façon dont les écoles doctorales, les universités et le ministère doivent se coordonner dans cette mise en oeuvre nécessite d'être explicitée. En particulier les procédures d'accréditation des écoles doctorales doivent intégrer ces objectifs dans un cahier des charges clair et dont le contenu est public.
Dans le texte de la LOP, l'unique objectif quantifié concerne l'insertion professionnelle des docteurs, ce qui est largement insuffisant.
La première phrase du chapitre consacré au doctorat dans le rapport annexe de la LOPR est révélatrice de l'absence de vision d'ensemble : « Le nombre des allocations de recherche sera augmenté et leur montant, indexé sur l’inflation, sera revalorisé » (page 33).
Cette indexation du montant de l'allocation de recherche représente une victoire, arrachée après une mobilisation qui avait commencé pour la CJC en octobre 2000 avec le lancement d'une pétition...
Mais programmer des moyens sans les mettre au service d'une politique n'est guère efficace. L'augmentation du nombre d'allocation de recherche risque de n'être qu'un « effet d'aubaine » conduisant à l'augmentation du nombre d'inscriptions en doctorat, sans diminution des pratiques de non-financement.
Ces nouvelles allocations de recherche, ainsi que les autres types de financements programmés dans le cadre de la LOPR (CIFRE et CRAPS), doivent servir à améliorer les pratiques et être donc distribués sur des critères incitatifs. Il faut notamment renforcer l'attribution des allocations de recherche en tenant compte à la fois l'attention portée à la définition des projets de recherche doctorale pour lesquels une allocation est demandée et à la qualité des procédures de recrutement. Une allocation de recherche ne doit pas être attribuée à un « étudiant méritant » mais à un projet de recherche correctement défini dans ses buts et ses moyens, et pour lequel une personne est recrutée en fonction de son adéquation avec le profil recherché.
Si le texte de la LOPR propose une programmation de certains moyens, elle en oublie d'autres. L'évolution du processus de résorption des libéralités financées par des associations caritatives mis en place en 2003, n'est pas évoqué. Il s'agit pourtant d'une des avancées les plus significatives dans la politique ministérielle concernant les jeunes chercheurs.
Cependant il faut aller plus loin. En effet, le périmètre de ce processus ne concerne qu'une petite partie des libéralités, car l'État lui-même en finance un très grand nombre, en particulier sur les budgets du ministère de l'Industrie et celui des Affaires Étrangères1. La LOPR est l'occasion propice à une révision d'ensemble de ces pratiques, souvent illégales !
En inscrivant dans la partie législative de la LOPR l'obligation que tout financement public pour des jeunes chercheurs se fasse sous forme de salaire, encadré par un contrat de travail (l'allocation de recherche pourrait servir de référence), un pas de géant serait fait vers la régularisation des modes de financements des jeunes chercheurs.
Outre l'attribution des financements et les dispositions législatives, d'autres leviers doivent être mis en place pour assurer l'efficience d'une politique volontariste allant vers l'amélioration des pratiques. Nous citerons sans être exhaustifs les pistes suivantes :
Demander aux Conseils d'Administration des Universités de fixer un nombre maximum de doctorants par encadrant, après avis du Conseil Scientifique et des écoles doctorales. Une telle mesure figurait dans l'arrêté du 16 avril 1974 relatif au Doctorat d'État ! Dans le même esprit d'accompagnement du changement, cet engagement devrait donner lieu à une programmation pluriannuelle ou à la prévision de mesures transitoires inscrites dans les contrats quadriennaux des établissements.
S'assurer, au moment de l'accréditation, que les écoles doctorales produisent un rapport annuel documenté sur la politique générale suivie, sa déclinaison en objectifs concrets et chiffrés, les moyens mis en oeuvre pour atteindre ces objectifs, les résultats quantifiés obtenus en regard des objectifs fixés et le cas échéant les mesures correctives envisagées.
Prendre en compte l'activité d'encadrement doctoral dans l'évaluation des chercheurs et enseignants-chercheurs qui assurent ces fonctions. Cette évaluation est à coupler avec l'attribution de primes d'encadrement doctorale (PED). Les réformes de la PEDR proposées dans la LOPR (page 36) sont totalement inconsistantes. S'il faut instituer une prime pour des chercheurs qui font de l'enseignement, alors ce doit être une « prime d'enseignement » et non pas une « prime d'encadrement doctorale » ! Si on doit développer des primes pour les enseignants-chercheurs qui s'investissent particulièrement dans la production scientifique, alors elles doivent être des « primes de recherche ». L'encadrement doctorale est une activité spécifique qui doit être valorisée et évaluée comme telle.
Enfin, la définition d'objectifs n'a aucun sens sans outils de suivi. Ce suivi est une mission des écoles doctorales, sous la coordination du ministère en charge de la recherche. Dans un rapport de septembre 20032, l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche pointe le manque de moyens, en particulier humains, dont souffrent les écoles doctorales pour remplir correctement leur mission de suivi. Les rapporteurs soulignent également la faiblesse des compétences généralement disponibles pour gérer les missions des écoles doctorales, tout en précisant que les bonnes volontés et les idées ne manquent pourtant pas. Ils relèvent enfin que les possibilités offertes par les technologies de l'information et de la communications sont sous-exploitées.
Alors que plusieurs facteurs, en particulier la réforme prochaine des écoles doctorales ainsi que la mise en oeuvre de la LOLF, devraient contribuer à accorder une attention particulière à ces questions, le rapport annexe de la LOPR se borne à proposer des moyens ciblés sur « certaines écoles doctorales » pour mettre en oeuvre de nouveaux « cursus » (on notera au passage - avant d'y revenir plus longuement - la terminologie encore et toujours à connotation étudiante employée pour évoquer le parcours professionnel des jeunes chercheurs !).
La CJC travaille avec les services ministériels autour du dispositif d'enquête auprès des écoles doctorales, de l'évolution des nomenclatures utilisées et de la constitution d'indicateurs afin de permettre à tous les acteurs une meilleure connaissance de l'existant. Ce travail avancerait bien plus vite si un minimum de moyens y était consacré. Il devient par exemple urgent que les universités et les écoles doctorales se dotent de systèmes d'information performants, qui les aideraient dans le suivi de leurs doctorants, et permettraient également d'améliorer le recueil et la synthèse de ces informations au niveau national. La qualité et la transparence des données sur le déroulement des thèses et le devenir des docteurs nous semblent une nécessité pour l'évolution des pratiques des acteurs sur le terrain.
Le LOPR propose de consacrer 9 M¤ par an jusqu'à 2010 aux écoles doctorales pour la mise en place de ces « nouveaux cursus ». Ces moyens ne sont pas négligeables, ils représentent quelques 30 000 ¤ par école doctorale ! Plutôt que de concentrer cet argent sur une action de faible amplitude, il serait plus utile, toujours sur critères incitatifs, de l'utiliser comme levier pour l'amélioration globale du fonctionnement des écoles doctorales.
En guise de bilan, nous ne pouvons que nous étonner de
l'absence dans le texte de la LOPR de mesures permettant
d'assurer l'efficacité de l'allocation de moyens budgétaires
supplémentaires, alors même que ces mesures ont un coût
ridicule en comparaison !
La volonté affichée du texte de la LOP est d'améliorer l'insertion des docteurs dans le secteur privé. C'est d'ailleurs le seul objectif quantifié par ce texte concernant le doctorat :
« passer le taux de jeunes docteurs rejoignant, sur un emploi stable, le monde de l’entreprise dans les trois années après la soutenance de thèse à 50% d’ici 2010, ce qui correspond au triplement de la valeur actuelle de ce taux ».
Cependant, les chiffres avancés sont douteux : l'étude du CEREQ sur la « génération 98 » montre que déjà en 2001, trois ans après leur doctorat, 46% des docteurs avaient un CDI dans le secteur privé. Quatre ans après, malgré la dégradation du marché de l'emploi, il serait surprenant que ce même taux ait été divisé par trois...
Par ailleurs, les pré-supposés qui transparaissent dans l'analyse que propose le texte laissent songeurs sur l'efficacité de la méthode. On peut en effet lire page 33 :
« Il apparaît essentiel de mieux préparer les doctorants à leur intégration professionnelle dans le secteur privé, et d’inciter les entreprises à en recruter davantage ».
Partant de tels principes, il n'est alors pas étonnant de découvrir un peu plus loin des propositions visant à mettre en place de « nouveaux cursus » au sein des écoles doctorales, pour « préparer l'étudiant » à coups de « stages en entreprise obligatoires » et « d'enseignements complémentaires » à une intégration professionnelle en entreprise... Toujours le champs sémantique des études...
Or, tant que l'on restera dans l'optique de « former des étudiants à l'entreprise », on ne différenciera jamais au yeux du secteur privé une formation d'ingénieur / master, d'une expérience doctorale ! Il serait bien plus pertinent d'écrire :
« Il apparaît essentiel de mieux préparer les écoles doctorales et les université à intégrer la dimension professionnelle du doctorat et de les inciter à animer de véritables réseaux professionnels avec l'ensemble des partenaires socio-économiques concernés par les champs disciplinaires qu'elles couvrent ».
La suite en découlerait alors logiquement, et l'on pourrait y lire par exemple :
« permettre des possibilités de cumul ou d'alternance d'activités durant le doctorat afin de rendre possible des missions de courte durée en entreprise ou au sein d'une administration. Ces missions permettraient le développement d'activités diverses : expertise, conseils, transferts technologique ou méthodologique, études de faisabilité, etc. dans le cadre de partenariats définis par contrat, prévoyant notamment les accords nécessaires portant sur la propriété intellectuelle ».
Car les vrais questions sont là : par exemple, comment donner la possibilité juridique à un allocataire de recherche, agent contractuel de l'État, d'exercer une mission dans une entreprise durant son contrat ?
Le texte précise par ailleurs que, l'État « souhaite inciter les partenaires sociaux à négocier la reconnaissance explicite, dans les conventions collectives, du statut de docteur ». Ceci rencontre en effet la demande issue des États Généraux, appuyée par une pétition en cours3 qui a déjà rassemblé plus de 8500 signatures. Ce genre d'annonce n'engage malheureusement pas à grand chose quand on remarque que cette intention était déjà affichée dans la LOPR de 19824 (article 26) !
En revanche, une demande similaire des États Généraux a été malencontreusement oubliée : l'État pourrait en effet montrer l'exemple en reconnaissant le doctorat dans les grilles des fonctions publiques...
Pour les docteurs dont le projet professionnel est la recherche et/ou l'enseignement supérieur, la période entre le doctorat et le recrutement sur poste stable est particulièrement critique du fait de l'inadéquation entre le flux annuel de docteurs et le nombre de postes ouverts aux concours. La conséquence est la constitution d'un « sas d'attente » de plusieurs années, dans des conditions d'emplois précaires, entre le doctorat et le recrutement sur poste stable, avec pour corollaire l'augmentation de la moyenne d'âge au recrutement.
Afin de revenir à un recrutement plus précoce après le doctorat, les États Généraux avaient proposés un ensemble de mesures, cohérentes entre elles :
Le lancement d'un plan pluriannuel de l'emploi statutaire ;
La mise en place d'une limite d'expérience professionnelle (de 6 ans doctorat inclus), pour postuler sur les premiers niveaux de postes (CR2, MC).
L'unification de tous les systèmes de financement pour docteurs non titulaires (ATER, libéralités, ...) en un cadre commun : un CDD de 2 ans avec ou sans charge d'enseignement réduite (64 h eq. TD), de manière à assurer la préparation à un recrutement sur poste stable dans des conditions satisfaisantes.
Le texte actuel de la LOPR, s'il reprend le terme de « chercheur associé » utilisé par les États Généraux, ne met pas en place les mesures indiquées. Il se contente de créer de nouveaux supports pour chercheurs non permanents, sans modifier l'existant. Là aussi on peut douter que l'ajout non contrôlé de nouveaux moyens entraîne une amélioration des pratiques...
Le projet de LOPR est très en deçà des attentes des jeunes chercheurs sur les points les concernant. Le principal reproche que nous formulons n'est pas la faiblesse des moyens budgétaires proposés – même si certains points, comme la revalorisation de l'allocation de recherche, cette faiblesse est patente – mais l'absence d'orientation pour guider l'action.
La CJC espère que le gouvernement saura prendre en compte ces remarques et que la suite de la préparation du projet de loi pourra se dérouler dans une concertation constructive.
1Cf. Rapport sur les condition de travail illégales des jeunes chercheurs, CJC, mars 2004 : http://cjc.jeunes-chercheurs.org/dossiers/
contact @ cjc . jeunes-chercheurs . org © 1996-2024 Confédération des jeunes chercheurs.
Ce document (/positions/note_lecture_lop-2005-01-24.html
) a été mis à jour le 26 janvier 2005