cjc.jeunes-chercheurs.org/positions/lettre-ministre-2000-07-20.html
Le rapport de la mission parlementaire menée par Messieurs les Députés Cohen et Le Déaut et remis au Premier ministre en juillet 1999 fait mention de 12 propositions concrètes pour "la formation et le devenir des doctorants et des post-doctorants". Les doctorants et les post-doctorants font partie du corps social des Étudiants-Chercheurs (dont font également partie les étudiants de DEA, les docteurs sans emploi et les Attachés Temporaires d'Enseignement et de Recherche). La Confédération des Étudiants-Chercheurs (CEC) a pour objectif de représenter ce corps social auprès des institutions et de participer au débat public sur les formations par la Recherche. Ces propositions sont le résultat de l'écoute qu'ont su nous prêter les deux députés lors des différentes entrevues qui ont été organisées dans le cadre de cette mission : auditions à l'Assemblée nationale, rencontres avec les doctorants dans plusieurs villes de France, colloque de clôture de la Sorbonne (26 juin 1999). Ce document présente notre réaction point par point aux propositions du rapport. Nous sommes satisfaits de constater que les propositions de la mission parlementaire reprennent les idées que nous avions avancées sur les formations doctorales. Elles répondent donc, en grande partie, aux attentes de ce corps social de plus de 70 000 personnes qui est l'avenir de la Recherche en France. Nous souhaitons par ce document continuer à contribuer à l'avancement de la réflexion sur ces sujets et à la définition de mesures concrètes.
La CEC suit de près l'évolution de cette structure en plein essor qu'est l'École Doctorale (ED) : nous avons participé au premier colloque national sur les ED et nous sommes associés à la réflexion sur la création d'une association nationale des ED.
L'École Doctorale a pour mission première de permettre
à l'étudiant-chercheur de mieux se positionner sur le marché
de l'emploi. L'idée maîtresse est de compléter sa formation
par la recherche acquise en laboratoire par des formations professionnalisantes
idoines. L'ED doit tout d'abord garantir que le doctorant effectue ses
études doctorales dans les meilleures conditions possibles. Assimilé
dans son laboratoire comme un chercheur à part entière, son
statut est garanti par la Charte des Thèses. L'ED doit donc veiller
à son application (voir paragraphe 2). De ce point de vue, elle
doit également donner une image du doctorant qui est celle d'un
professionnel de la recherche en formation, et non celle d'un étudiant
comme le prévoit la loi Savary (voir paragraphe 3).
L'ED doit également permettre au doctorant de mûrir son
projet professionnel. Outre l'information sur les opportunités de
recrutements, elle doit permettre de valoriser au même niveau l'insertion
dans le secteur privé et celle dans le secteur public.
Enfin, elle doit contribuer à la diffusion de l'idée
que la thèse constitue une expérience professionnelle, tant
auprès du doctorant que des entreprises. Elle doit donc, entre autres
choses, permettre au doctorant d'apprendre à valoriser cet aspect
et d'acquérir des compétences supplémentaires nécessaires
à la reconnaissance de cette professionnalisation.
Insertion professionnelle des docteurs
Elle doit être une préoccupation permanente de l'ED. Elle
doit y participer activement. À ce titre, le suivi des docteurs
en poste est essentiel pour créer une dynamique de "carnet d'adresses"
(annuaire d'anciens, listes d'entreprises intéressées par
le profil des docteurs formés, CV détaillés consultables
sur un serveur WEB "ED", etc.) ainsi que pour constituer une équipe
de direction sensibilisée (et motrice) à la question de l'insertion
professionnelle. Cela passe aussi par le soutien et par la promotion des
associations locales de doctorants.
Visibilité et évaluation des ED.
Il est primordial que l'ED soit bien "visible" depuis l'extérieur
et que la pertinence des actions qu'elle a engagées soit évaluée.
Ce double objectif peut être atteint par la tenue de statistiques
robustes (pendant et après la thèse) consultable sur le serveur
WEB de l'ED. Parmi les informations à diffuser, nous estimons que
devraient figurer :
Outre la dynamique générée au niveau de l'insertion et de la formation, cela permettrait à tous (en particulier aux entreprises et aux futurs doctorants) d'avoir une image précise de la formation dispensée.
Il est évident que les ED doivent être dotées de moyens à la hauteur de la mission qui leur est confiée.
Comme vous le savez, la CEC a fait le choix du professionnalisme des formations doctorales : d'après nous, le doctorant est un chercheur non permanent qui doit donc être placé dans des conditions décentes pour exercer son activité. Ces conditions d'exercice correspondent, selon nous, à celles d'un professionnel et non pas à celles d'un étudiant. Elles devraient donc être garanties par un contrat de travail.
Nous constatons que des progrès ont été accomplis. Un premier pas symboliquement fort a été fait dans cette direction avec la mise en place de la Charte des Thèses. Les propositions faites dans le rapport de la mission parlementaire vont dans le même sens et renforcent la légitimité de ces choix. La montée en puissance des Écoles Doctorales peut, si elle se déroule dans de bonnes conditions, permettre de renforcer ce mouvement. Nous considérons que nous entrons dans une nouvelle ère pour les formations doctorales, mais le changement amorcé ne pourra vraiment porter ses fruits à long terme qu'à certaines conditions. C'est dans cette optique que nous vous soumettons ici quelques compléments concrets aux propositions faites dans le rapport de la mission parlementaire.
En annexe du Bulletin Officiel relatif à la Charte des Thèses
(B.O. n°36 du 1er octobre 1998), la charte-type stipule "qu'un directeur
de thèse ne peut encadrer efficacement, en parallèle, qu'un
nombre très limité de doctorants". La qualité de l'encadrement
dépend très fortement de ce nombre. Il nous semble donc indispensable
qu'il soit précisé, afin de juguler les dérives observées
dans certaines disciplines. Au terme de nombreux débats impliquant
tant des doctorants de sciences dites dures que des doctorants en lettres
et sciences humaines et sociales, il nous est apparu raisonnable de limiter
à 3 le nombre de doctorants encadrés par chaque directeur
de thèse dans les directions scientifiques 1 à 5 et à
10 dans les directions scientifiques 6 et 7. Pour que cette mesure soit
suivie d'effet, il serait bon de réaffirmer la possibilité
donnée par dérogation à un enseignant-chercheur non
habilité à diriger des recherches d'encadrer un doctorant
(arrêté du 30 mars 1992). Il nous semble également
souhaitable que l'attribution de la prime d'encadrement doctorale dépende
du respect de ce nombre.
Le suivi de la Charte des Thèses est un point important qui
fait l'objet d'une proposition du rapport (section 5.1.1). La nécessaire
et juste évaluation des pratiques de formation doctorale des établissements
habilités à délivrer le doctorat est un des leviers
d'amélioration qualitative du dispositif de formation par la Recherche.
En plus de l'évaluation dans le cadre de la contractualisation des
établissements, vous proposez que le Comité National d'Évaluation
(CNE) ou le CNERF, dont votre prédécesseur proposait qu'il
reprenne les missions du CNE et du CNER, évalue la mise en place
de la Charte depuis la promulgation de l'arrêté du 3 septembre
1998. Cette excellente idée devrait permettre d'apprécier
si la Charte correspond à une réalité sur le terrain.
Nous nous permettons d'attirer votre attention sur l'importance de
points très concrets, tels que la réalité de la signature
de la charte lors de l'inscription en thèse, la diffusion des informations
et des statistiques sur les débouchés, la non-conformité
à la Charte des Thèses proposée par le ministère
(voir la clause de confidentialité de l'École Doctorale de
Paris VII), l'existence et l'efficacité de procédures de
médiation ou le suivi du devenir des docteurs. C'est dans ces "détails"
que l'on peut évaluer la véritable intégration de
la charte dans les pratiques ou si ce n'est qu'un papier de plus dans le
dossier d'inscription. Or, les nombreux cas qui nous ont été
récemment signalés, où la médiation n'a pas
été mise en oeuvre, nous font craindre le pire. C'est pourquoi
une évaluation de la Charte est primordiale.
Bien que l'application de la Charte des Thèses soit de la responsabilité
de chaque établissement, les ED sont les plus qualifiées
pour la vérifier et pour la soutenir. Il nous semble donc pertinent
que l'évaluation intègre cette dimension et que les résultats
soient aussi présentés par École Doctorale. Le processus
d'évaluation par le CNE pourrait par ailleurs bénéficier
de l'apport des associations de doctorants : il serait profitable de les
consulter largement sur leur perception de la situation dans les divers
établissements.
Comme nous vous l'avons déjà signalé, nous regrettons
tout particulièrement que les aspects "statut social" et "financement"
aient été découplés de la Charte. Toutefois,
nous nous félicitons de voir ce point abordé dans le rapport
de la mission parlementaire.
C'est à juste titre que les problèmes des "financements-bricolages"
et de "l'équilibrage" entre disciplines ont été soulignés.
Tout comme vous, nous n'avons pas réellement compris la suppression
totale des financements de thèse par certains EPIC. Il s'agissait
de contrats de qualité, souvent associés à une politique
de suivi tout à fait exemplaire.
Au-delà de ces points positifs, les propositions que nous avons pu lire pourraient être complétées par les quelques idées suivantes :
Qui plus est, l'évolution des mentalités ne se fera
pas sans une participation des personnels. Comme vous en êtes conscient,
c'est sur les chercheurs que repose la responsabilité finale de
prendre ou de refuser un doctorant non financé. En l'absence d'obligations
légales de financement, une incitation forte est plus que jamais
nécessaire. Nous proposons explicitement que l'attribution des primes
d'encadrement doctoral et de recherche (PEDR) soit subordonnée au
taux de financement des doctorants encadrés par le chercheur. Cette
mesure touche certes les personnels au portefeuille, mais elle montre clairement
et sans ambiguïtés la direction choisie. Elle place chaque
directeur de thèse potentiel devant sa responsabilité individuelle.
Cette proposition donne un sens concret et palpable à l'idée
du non-renouvellement de la prime dans le cas d'abus patents et répétitifs
avancée dans le rapport de la mission parlementaire.
La CEC demande depuis plusieurs années un plus large accès des doctorants à l'initiation à l'enseignement supérieur dispensée par les CIES. Une telle mesure nous semble d'autant plus nécessaire aujourd'hui que la décennie qui s'ouvre devrait connaître un important renouvellement des effectifs d'enseignants-chercheurs et que le monitorat a fait ses preuves en tant que formation de qualité à l'enseignement supérieur.
Combinant expérience d'enseignement sous la responsabilité d'un tuteur et formations complémentaires (pédagogie, fonctionnement de l'université, communication...) au sein des CIES, le monitorat constitue une initiation de qualité aux métiers de l'enseignant-chercheur. La structure régionale et pluridisciplinaire des CIES facilite en outre les échanges entre doctorants d'universités et de domaines scientifiques différents et la diversité des formations complémentaires qu'ils dispensent est un atout pour l'insertion professionnelle des docteurs.
Malheureusement, tous les doctorants qui souhaitent acquérir une expérience d'enseignement n'ont pas la possibilité de le faire en tant que moniteur ; dans le meilleur des cas, ils assurent des vacations de manière plus ou moins régulière, sans aucun suivi ni formation pédagogique. Nous préconisons donc les mesures suivantes :
Depuis plusieurs années, la CEC et la Guilde des Doctorants (GDD)
demandent que les procédures de recrutement des Maîtres de
Conférences et des Chargés de Recherche soient aménagées.
Vous pouvez consulter, à titre d'exemple, la dernière contribution
de la CEC :
http://garp.univ-bpclermont.fr/cec/positions/calendrier-recrutement/recrutement.html.
La mise en place d'ANTARES constitue une amélioration notable
dont nous ne pouvons que louer l'introduction. Toujours mus par ce souci
de simplification, nous proposons que le système d'inscription électronique
pour les procédures de qualification soit étendu aux candidatures
pour les postes de Maître de Conférences et d'ATER, en vue
de l'uniformisation et de la standardisation des dossiers de candidature.
Nous suggérons en outre que soient rajoutées certaines fonctionnalités
qui permettraient de connaître en temps réel l'état
d'avancement d'un dossier. Ces modifications concerneraient l'affichage
des résultats des commissions de spécialistes (classement
des candidats) et compléteraient l'affichage des résultats
de l'algorithme d'affectation des candidats prévu par ANTARES. D'autres
points relatifs à la diffusion d'informations concernant le recrutement
des enseignants-chercheurs, mais indépendants du système
ANTARES, pourraient être améliorés :
Bien qu'étant le titre le plus élevé de l'enseignement universitaire, le doctorat n'est pas reconnu dans les concours d'entrée dans la fonction publique ou dans les grands corps de l'État qui n'ont pas trait à l'enseignement ou à la recherche. Cette situation paradoxale est d'autant plus choquante que l'État lui-même, en n'ouvrant pas aux docteurs l'accès à la haute fonction publique, dévalorise ainsi la formation la plus poussée dispensée par l'Éducation nationale. Pour résoudre cette anomalie, nous proposons que les concours de la haute fonction publique soient ouverts aux docteurs, dans les disciplines où cela est possible, au même titre que pour les personnes issues d'une grande école. Pourtant, force est de constater que, dans certains domaines où il serait pertinent de faire appel aux compétences des docteurs universitaires, d'autres solutions sont actuellement envisagées (ex : « Verdissement » superficiel de la fonction publique et du cursus des grandes écoles afin de répondre aux besoins du domaine de l'Environnement ; attribution de direction de laboratoire à des ingénieurs non-docteurs, etc.). L'État se doit de reconnaître le titre de docteur dans les concours qu'il organise, puisqu'il souhaite voir par ailleurs valoriser le titre de docteur dans le secteur privé. Un certain nombre de postes pourraient ainsi être attribués chaque année à des personnes issues d'un cursus universitaire, ce qui permettrait la diversification de l'élite de la République tout en élargissant les horizons de recrutement. Notons que cette filière ne serait pas une "voie de secours" et pourrait mener à de véritables carrières dans la haute fonction publique.
Pour les grands groupes industriels et a fortiori pour les entrepreneurs
de PME/PMI, le docteur entre en concurrence avec l'ingénieur sur
le marché du travail français. Réciproquement, nombre
de doctorants n'envisagent pas la carrière dans le secteur privé,
ou alors, comme une seconde possibilité honteuse en regard de la
voie noble que représente la recherche académique. Cette
méconnaissance réciproque, d'une part des potentialités
professionnelles et humaines des docteurs, d'autre part des possibilités
qu'offre le secteur privé pour des carrières intéressantes,
conduit à cette situation de "gâchis" définie par MM.
Cohen et Le Déaut au cours de leur mission parlementaire.
Partant de ce principe, nous suggérons trois lignes d'action
possibles : au niveau des doctorants, au niveau des entrepreneurs et en
facilitant la création d'entreprises par les jeunes docteurs. Pour
amener les doctorants à apprécier le secteur privé
avec moins d'appréhension, il faut leur permettre de prendre conscience
du caractère professionnel de leur expérience en thèse,
des compétences qu'ils ont ainsi acquises et donc de ce qu'ils peuvent
apporter à l'entreprise. Il faut leur permettre de sortir du contexte
académique dans lequel ils baignent depuis des années. Pour
cela, il faudrait faciliter l'accès aux stages en entreprise dès
la fin de maîtrise, impliquer les directeurs de thèse pour
qu'ils encouragent (ou au moins autorisent) les doctorants à suivre
des stages comme les Doctoriales, donner véritablement les moyens
aux antennes de l'Association Bernard Grégory d'informer les doctorants
sur le secteur privé, offrir aux doctorants des formations annexes
sur la conduite d'un projet, sur la propriété industrielle,
ainsi que sur la rédaction de CV, de lettres de motivation, sur
le passage d'entretien et, surtout, permettre les rencontres entre les
doctorants/docteurs et les entrepreneurs. Pour amener les entrepreneurs
à apprécier le niveau de qualification des doctorants, il
faut leur permettre de rencontrer des doctorants et de jeunes docteurs
en donnant aux universités et aux associations de doctorants les
moyens d'organiser des forums entrepreneurs-docteurs. Un autre moyen
d'action que nous proposons serait d'étendre aux doctorants l'accès
au système de "junior-consultant", actuellement limité aux
Maîtres de Conférences. Enfin, pour soutenir la création
d'entreprises par les jeunes docteurs, outre des facilités financières,
il faudrait leur permettre un accès libre à des conseils
de gestion, à des conseils juridiques et à des conseils en
communication-marketing, les doctorants n'étant pas du tout préparés
à affronter ces problèmes pourtant cruciaux dans toute start-up.
Il est évident que la CEC adhère aux autres propositions
du rapport, telles que donner la possibilité à un docteur
d'acquérir une expérience en entreprises, reconnaître
le doctorat dans les échelles de qualification et dans les conventions
collectives, prendre en compte l'ancienneté des post-docs pour leur
reclassement dans les grilles indiciaires.
La proposition de réflexion sur la mobilité, en particulier
le problème de la prolifération des séjours post-doctoraux,
mérite également d'être reprise et développée.
Je vous saurais donc gré de reconsidérer le rapport Cohen-Le Déaut à la lumière de ces nouvelles propositions.
contact @ cjc . jeunes-chercheurs . org © 1996-2024 Confédération des jeunes chercheurs.
Ce document (/positions/lettre-ministre-2000-07-20.html
) a été mis à jour le 18 août 2002