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Paris, le 31 juillet 2002
Confédération des Étudiants-Chercheurs
CEC, Boîte Postale, Bâtiment 301
Université Paris-Sud
91405 Orsay CEDEX
Email : cec@garp.isima.fr
Web : http://www.cec.asso.fr
Mme C. Haigneré
Ministre déléguée à la Recherche et
aux nouvelles technologies
Ministère de la Recherche
1, rue Descartes
75231 PARIS CEDEX 05
Objet: demande d'audience
Madame la Ministre,
Alors que s'ouvre une fenêtre de cinq années propice aux changements et aux réformes, la Confédération des Étudiants-Chercheurs (CEC), qui regroupe une trentaine d'associations de doctorants et de jeunes docteurs sur le territoire national, souhaite vous faire part de sa perception de l'état actuel de la formation doctorale en France. Plusieurs rapports ont par le passé tenté d'alarmer les pouvoirs publics sur l'évolution de notre système d'enseignement supérieur et de recherche, qui se dégrade malgré l'existence d'un potentiel remarquable. Qu'ils soient issus du milieu associatif doctorant, comme le rapport HotDocs (« Formation doctorale : enjeux, bilan, propositions », avril 1995 ; téléchargeable sur le site de la Guilde des Doctorants : http://guilde.jeunes-chercheurs.org/guilde/Rapport-HD/), ou de structures institutionnelles, comme le rapport Cohen-Le Déaut (« Priorité à la recherche : quelle recherche pour demain ? » ; rapport des députés P. Cohen et J.-Y. Le Déaut remis le 22 juillet 1999.), tous insistent sur l'incroyable gâchis qui consiste à former de jeunes docteurs dans des conditions peu enviables, au fil d'un parcours ardu et rempli de « goulets d'étranglement ». Le récent colloque « Génération Jeunes Chercheurs », organisé le 15 mars dernier par le Ministère de la Recherche, a montré à quel point ce sentiment est largement partagé par les acteurs, jeunes et moins jeunes, de la communauté scientifique et universitaire française. La CEC souhaite donc vous communiquer quelques réflexions et propositions pour répondre aux attentes formulées à cette occasion par les jeunes chercheurs en formation.
En premier lieu, les doctorants forment aujourd'hui la véritable « cheville ouvrière » des laboratoires en France. Au nombre de 65 000, ce qui est du même ordre de grandeur que le nombre cumulé d'enseignants-chercheurs et chercheurs des organismes de recherche, ils participent pleinement à la production scientifique des laboratoires et sont devenus par la force des choses indispensables à leur bon fonctionnement. Autrement dit, les doctorants ont une activité professionnelle de production de savoir qui les différencie totalement des étudiants des premiers et seconds cycles universitaires. Malgré cette évidence, on constate qu'au moins un tiers des doctorants ne touche aucune rétribution pour le travail de recherche effectué, et qu'une part importante des doctorants financés touche une libéralité ne donnant pas droit aux cotisations sociales. Ces situations de travail bénévole ou « au noir » nous semblent indignes et ne peuvent générer que du désarroi chez les jeunes chercheurs qui les vivent quotidiennement.
À terme, il nous semble impératif que chaque doctorant perçoive un salaire pour son activité de recherche dans le cadre d'un contrat de travail de type CDD, à l'image de l'allocation de recherche du Ministère. Cela sous-entend notamment la transformation des bourses de thèse en véritables contrats, donnant droit aux cotisations pour l'assurance chômage et la retraite. La professionnalisation des doctorants est une condition sine qua non pour réduire le sentiment de « bricolage » dans les modes de financement et rendre la thèse à nouveau attractive. Cela va de pair avec une plus grande diversité des sources de financement, privées et publiques, certaines disciplines c'est le cas des Sciences Humaines et Sociales étant d'ailleurs en état de sous-financement chronique. Enfin, la CEC rappelle que l'allocation de recherche a perdu plus de 15% de sa valeur depuis 1991, et ce malgré la revalorisation consentie au début de l'année 2002. Aussi, il nous semble important que cette revalorisation soit répétée, avec un échelonnement sur les cinq ans à venir. De même, un mécanisme d'indexation de l'allocation, par exemple sur le point de la fonction publique, doit être mis en place pour faire cesser cette situation ubuesque de sa constante dévalorisation, autant financière que psychologique.
En second lieu, la thèse est une étape dans le devenir professionnel des doctorants. La notion de « formation par la recherche » sous-entend l'existence d'un encadrement effectif du doctorant par son directeur de thèse. En définissant les droits et devoirs de chacun, la Charte des Thèses visait à réduire les abus constatés, du fait de traditions de disciplines, de conflits entre personnes ou encore par laxisme mandarinal. Malgré sa mise en place en 1997, il faut bien admettre que la Charte des Thèses n'est pas appliquée là où elle serait la plus utile, notamment dans les disciplines des Sciences Humaines et Sociales. La CEC, dont les réflexions sont en partie à l'origine de la Charte, demande donc que le Ministère de la Recherche saisisse l'Inspection Générale de l'Administration pour mener une évaluation de l'application de la Charte des Thèses. La CEC souhaite également que le Ministère envisage des moyens de pression pour la faire appliquer réellement, par exemple via la Prime d'Encadrement Doctoral et de Recherche. Enfin, la CEC appuie tout effort visant à faire évoluer les pratiques en Sciences Humaines et Sociales, notamment par l'attribution de locaux aux laboratoires ou par la création de Maisons des Sciences Humaines au sein des établissements. La généralisation du dispositif des Écoles Doctorales représente une opportunité pour mener à bien ces changements, pour peu qu'elles soient placées véritablement au centre de la formation doctorale. Or, il existe à l'heure actuelle une totale inadéquation entre les ambitions affichées pour les Écoles Doctorales et les moyens qui leur sont alloués. Il nous semble essentiel de garantir aux Écoles Doctorales des moyens financiers et humains nécessaires pour pouvoir entre autres proposer aux doctorants des formations complémentaires pertinentes et variées, aider les doctorants à préparer leur insertion professionnelle, garantir une transparence dans l'attribution des allocations du Ministère, mettre en place des structures de médiation prévues par la Charte des Thèses. Enfin, il s'agit de réfléchir avec les Écoles Doctorales sur le développement de nouvelles activités complémentaires pour les doctorants, tournées par exemple vers les entreprises innovantes, le transfert de technologie, l'information scientifique, la valorisation, les collectivités locales. De telles activités ne peuvent être que profitables aux doctorants, notamment pour les familiariser avec le secteur extra-académique, voire pour susciter des vocations de créateur d'entreprise. En effet, seul le monitorat d'initiation à l'enseignement supérieur représente aujourd'hui une opportunité d'activité complémentaire pour les doctorants. La CEC s'est prononcée contre un couplage obligatoire de l'allocation de recherche et du monitorat. Entre autres, il s'agit d'éviter la mise en place de « tuyaux d'orgue » débouchant, par un phénomène de « clonage des esprits », sur une insertion limitée à l'Université. Sur ce point, la CEC souhaite pouvoir connaître les orientations à venir sur le nombre de monitorats et sur l'ouverture plus large aux doctorants non allocataires souhaitant bénéficier de l'expérience de l'enseignement.
Ces problèmes de fond ne doivent pas mettre de côté une demande forte de reconnaissance des doctorants en tant que véritables acteurs de la recherche et de l'enseignement supérieur. Cette absence de reconnaissance est liée au défaut de représentation des étudiants-chercheurs, notamment au niveau institutionnel. En effet, à la frontière entre les étudiants classiques et les chercheurs permanents, les doctorants n'ont que peu l'opportunité de faire entendre leur point de vue. C'est pourquoi la CEC demande qu'un collège spécifique des étudiants chercheurs, qui regrouperait les doctorants et les jeunes docteurs en activité au sein d'un établissement d'enseignement supérieur et de recherche sur un emploi non permanent, soit créé et mis en place à tous les niveaux de représentation des différents acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche (laboratoires, universités, établissements de recherche, CNESER). Cet outil permettrait non seulement de responsabiliser les jeunes chercheurs vis-à-vis de la société, mais affirmerait également de manière claire que les doctorants sortent du cadre habituel de « l'étudiant attardé », image perçue de manière négative par les entreprises.
Nous sommes conscients du délicat exercice budgétaire que le Ministère de la Recherche pourrait être amené à rencontrer à court terme, mais l'urgence de la situation et les engagements pris au sommet de l'État doivent permettre de dépasser ces difficultés. Nous ne comprendrions pas un arbitrage budgétaire défavorable à la Recherche, dans la mesure où le Président de la République en a fait une priorité lors de la campagne électorale et lors de sa dernière intervention du 14 juillet. Dans la mesure du possible, la CEC souhaite pouvoir vous rencontrer pour évoquer l'ensemble de ces questions avec vous.
Dans l'attente d'une réponse, je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l'expression de mes sincères salutations.
Pour la Confédération des Étudiants-Chercheurs,
Le Président, Nicolas Legrand
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Ce document (/positions/2002-lettreministere.html
) a été mis à jour le 19 février 2004