cjc.jeunes-chercheurs.org/interventions/2005-02-07_min-en.html
NB: Ceci est une transcription plus ou moins fidèle. Pour consulter le document dans son format d'origine, téléchargez-le au format PDF.
La demande de ce rendez-vous auprès du cabinet de F. Fillon a été préparée par la CJC il y a plus de 15 jours, juste avant la « fuite » du pré-projet. La date du rendez-vous nous a été communiquée quelques jours après la sortie de ce pré-projet.
Il s'agissait pour la CJC de sa première entrevue avec le cabinet de F. Fillon dans le cadre de la préparation de la Loi d'Orientation et de Programmation de la Recherche (LOPR). La CJC s'y est rendue avec le double objectif de rappeler son attachement au processus des États Généraux de 2004 et de développer les points essentiels qui devaient figurer dans la future LOPR concernant les jeunes chercheurs.
Pour le ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche :
Mme Marie-Jeanne Philippe, directrice adjointe du cabinet
Pour la Confédération des Jeunes Chercheurs :
Florent Olivier (X'Doc), président
Hélène Combes (ANCMSP)
Sylvain Collonge (membre individuel), vice-président
La réunion a duré environ 2h30.
Présentation de la CJC
Contexte de la réunion
État des lieux de l'avancement de la préparation de la LOPR
Politique du ministère pour les jeunes chercheurs
Plan pluriannuel de l'emploi
Propositions de la CJC
Cadre juridique commun pour les doctorants
Amélioration des pratiques
Chercheurs associés
Reconnaissance du doctorat
Valorisation du doctorat et questions de sémantique
Représentation des jeunes chercheurs
La Confédération des Jeunes Chercheurs a été présentée rapidement à notre interlocutrice.
La CJC est née en 1996 du rassemblement d'un grand nombre d'associations de jeunes chercheurs partout en France (aujourd'hui une quarantaine), dans le but de contribuer à l'amélioration du déroulement du doctorat et de sa valorisation dans l'ensemble des secteurs socio-économiques tant publics que privés. Depuis sa création, le principe de base des réflexions de la CJC est que le doctorat est une première expérience professionnelle de la recherche.
Nous avons rappelé quelques moments importants de l'histoire de la CJC : mise en oeuvre de la Charte des thèses en 1998 à partir du concept de Contrat de thèse soutenu par la CJC, début de revalorisation de l'allocation de recherche à partir de 2002 suite à une large mobilisation des jeunes chercheurs l'année précédente, remise à C. Haigneré d'un Rapport sur les conditions de travail illégales des jeunes chercheurs en mars 2004.
Pour plus d'informations : http://cjc.jeunes-chercheurs.org
Nous avons ouvert la réunion en soulignant notre position générale : le texte des États Généraux constitue pour nous la base de discussion concernant les questions qui nous préoccupent ici, celles des jeunes chercheurs. La CJC a développé une réflexion plus détaillée sur un certain nombre de points, mais dont l'esprit général est cohérent avec les principes issus des États Généraux.
Dans l'avant-projet dont nous avons eu connaissance, une partie du texte est consacrée à la question des jeunes chercheurs. Cependant, on ne peut voir la question des jeunes chercheurs uniquement à travers les aspects présentés dans ce passage spécifique. Des propositions structurantes auront des répercussions sur leurs situations. Nous citons notamment l'Agence Nationale de la Recherche (et le risque de voir les CDD proliférer), la création d'un ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche de plein exercice, la création des PRES.
Nous avons souligné que ces questions dépassaient le cadre de notre réunion et devaient être traitées collectivement avec l'ensemble des acteurs impliqués dans le processus des États Généraux. Nous avons donc demandé que soit organisée le plus rapidement possible une réunion commune pour débattre de ces questions de portée générale et des grandes orientations du texte (place de l'innovation, nature des financements, etc.). Cette position a été réitérée à plusieurs reprises et a notamment été rappelée à la fin de la réunion.
Mme Philippe a dans un premier temps souligné qu'il leur paraissait plus judicieux de dialoguer avec les différents acteurs sur les aspects qui les concernaient le plus directement dans la future loi, arguant que les réunions communes n'étaient pas les plus adéquates pour avancer concrètement. Devant notre insistance sur l'importance que les grandes orientations et les éléments structurants soient débattus collectivement, elle a tempéré son propos, mais n'a pas donné de réponse positive.
Nous avons interrogé Mme Philippe sur le calendrier et la procédure envisagés pour la suite de la préparation de la LOPR.
Elle a commencé par insister sur le fait que le texte qui a été diffusé ne devait pas l'être et ne constituait qu'un brouillon, à bien des égards imparfait, servant de document de travail entre ministères (y compris Bercy). Elle mentionne plusieurs incohérences (de détail) et explique que si ce document comportait plus de 80 pages c'est qu'ils y « mettaient tout ». Le document sur lequel ils travaillent désormais ne fait plus qu'une trentaine de pages.
Tout en répétant que la « fuite » n'a pas été « organisée », elle explique que les réactions de leurs différents interlocuteurs vont leur permettre de « corriger » un certain nombre de points...
Elle insiste par ailleurs sur l'importance que cette loi sorte. Concernant les délais, un mois supplémentaire est prévu pour retravailler le texte, afin de se donner le temps de faire une « bonne loi ». Elle penche pour un passage du texte en conseil des ministres vers avril-mai.
Mais dans l'ensemble, toute la réunion a confirmé la méthode consistant à rencontrer, sans rien leur apporter de concret, l'ensemble des acteurs de la recherche les uns après les autres, avant que de rendre public un document.
Avant de présenter nos propositions, nous interrogeons Mme Philippe sur la politique du ministère concernant les jeunes chercheurs, et plus particulièrement sur les objectifs que celui-ci veut atteindre à travers la LOPR.
La quasi-totalité des évolutions touchant les doctorants ne seront pas dans la LOPR mais entreront dans le cadre de la refonte du niveau D, annoncée par F. Fillon fin décembre dernier (cette refonte s'accompagnera d'une mise à jour de l'arrêté du 21 avril 2002 relatif aux études doctorales). Concernant la population des doctorants, la LOPR est envisagée uniquement pour programmer des moyens (allocations de recherche, CIFRE, CRAPS, etc.).
Mme Philippe développe les axes de réflexion de cette refonte des formations et recherches doctorales, réflexions qui sont menées par Jean-Marc Monteil, directeur de l'enseignement supérieur au ministère, et auxquelles participe notamment la Conférence des Présidents d'Université (CPU) :
Spécialisation de la délivrance du doctorat par les universités sur les champs disciplinaires couverts par leurs écoles doctorales (pour plus de détails se référer au document de travail communiqué par le ministère aux membres du CNESER le 26/10/2004).
Mise en place d'une politique d'amélioration de la qualité du déroulement des formations et recherches doctorales : des éléments comme l'insertion des docteurs, le taux de financement et le nombre de doctorants par encadrant seront pris en compte pour l'attribution de moyens supplémentaires (notamment en allocations de recherche) aux écoles doctorales, afin d'inciter aux bonnes pratiques.
Concernant la programmation des moyens, Mme Philippe nous explique qu'elle ne peut rien nous dire, arguant que les discussions sur cette partie sont « en stand-by complet » avec Bercy. Elle ne peut donc répondre à aucune de nos questions sur la programmation du nombre de financements pour les doctorants, ni sur la revalorisation de l'allocation de recherche (dont nous signalons que le montant passera sous le SMIC en juillet prochain), ni sur la répartition disciplinaire de ces dernières.
Mme Philippe évoque les points suivants :
Revalorisation des salaires des enseignants-chercheurs en début de carrière (elle évoque deux pistes : via les salaires et via les primes).
Réduction du service d'enseignement pour une partie des nouveaux enseignants-chercheurs, afin de leur permettre de se consacrer davantage à la recherche. Cette mesure ne concernera pas l'ensemble des nouveaux maîtres de conférences (Nous avons expliqué en quoi ce n'était pas conforme à la proposition issue des États Généraux)
Réduction des tâches d'administration confiées aux nouveaux enseignants-chercheurs, dans le même but. Pour cela, Mme Philippe insiste sur la nécessité d'augmenter le nombre de postes de IATOS/ITA.
Mme Philippe n'a pas évoqué la figure des « chercheurs associés » développée durant les États Généraux. C'est le ministère en charge de la Recherche qui pilote cet aspect. Nous exposons néanmoins succinctement sur quoi repose cette idée issue des États Généraux, en particulier une réforme des ATER permettant de dégager un grand nombre de supports attractifs en terme de recherche sans avoir besoin de créer d'avantage de CDD. La révision du système de limite d'âge aux concours est également décrite pour parvenir à revenir à un recrutement plus précoce après le doctorat (tout en prévoyant une période de transition pour gérer correctement l'adaptation des pratiques). Enfin, nous précisons que cette proposition des États Généraux est fortement corrélée avec le point suivant...
L'un des points cruciaux de la future LOPR sera la programmation pluriannuelle de l'emploi. Nous insistons sur son importance et renvoyons notre interlocutrice aux chiffrages effectués en la matière par les États Généraux. Il est souligné que les chiffres avancés dans le pré-projet qui a été diffusé sont très inférieurs, alors même que les États Généraux avaient fait des propositions réalistes et réalisables.
Mme Philippe s'est contentée de reprendre le discours consistant à mettre au profit de l'année 2005 les emplois obtenus l'année dernière par la mobilisation de la communauté scientifique.
Nous avons rappelé les enjeux et recommandations européens et exprimé à nouveau l'importance d'une politique française forte sur la question de l'emploi, toutes catégories confondues.
Nous insistons fermement sur la nécessité d'inscrire dans la LOPR des objectifs clairs concernant le doctorat, étant donné que la LOPR est une occasion unique de fixer des objectifs et de programmer dans le temps les moyens de les atteindre.
Nous expliquons qu'il est essentiel que la LOPR inscrive la reconnaissance du caractère professionnel du doctorat et se donne donc pour objectif que le doctorat doit se dérouler dans le cadre d'un contrat de travail. La programmation des moyens doit permettre de réaliser progressivement cet objectif.
En complément de cette question primordiale du cadre juridique, nous avons évoqué les problèmes administratifs (obtention des titres de séjour et autorisations de travail) rencontrés par les jeunes chercheurs étrangers. Le flou juridique qui entoure le doctorat conduit à ce que la quasi-totalité des jeunes chercheurs étrangers se retrouvent à un moment ou à un autre en situation illégale. Au moment où l'État français discute beaucoup de « l'attractivité du territoire », il y a là un chantier à ouvrir de toute urgence. Mme Philippe en prend note et nous indique qu'elle en parlera à ses interlocuteurs au ministère de l'Intérieur.
Pour atteindre cet objectif, nous ajoutons aux critères listés par Mme Philippe, la résorption de la précarité (non-financement et libéralités).
Nous expliquons également que pour parvenir à un résultat satisfaisant, il ne faut pas utiliser les moyens supplémentaires uniquement pour « récompenser » les écoles doctorales qui fonctionnent déjà correctement (prime au meilleur). Il serait plus judicieux de prendre en compte également l'amélioration effective des pratiques (prime à l'effort) afin de permettre aux acteurs les moins favorisés jusqu'à présent d'avoir accès à ces nouveaux moyens pour leur permettre de mener leur politique d'amélioration et de pouvoir ainsi rejoindre les meilleures pratiques (en terme d'encadrement, de taux de financement, de durée des doctorats, d'insertion des docteurs, etc.).
Nous ajoutons que pour y parvenir, il est indispensable que les écoles doctorales aient les ressources, en particulier humaines, pour le faire, car cela implique des compétences en terme organisationnel dont peu d'écoles doctorales disposent à l'heure actuelle. Mme Philippe nous répond qu'elle en est consciente et que c'est au travers de la contractualisation des établissements que le ministère veillera à l'attention que ceux-ci portent à leurs écoles doctorales.
Nous avons abordé la question, présente dans le texte « fuité », de la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives (propos déjà inscrits dans la LOPR de 1982). Nous avons demandé des précisions sur les méthodes concrètes envisagées afin d'inciter les entreprises à recruter des docteurs.
Mme Philippe a répondu, sans donner plus de détails concrets, que la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives était un axe important de leur travail. Pourtant, elle nous indique en même temps que le passage concernant cette reconnaissance n'était plus dans le document de travail actuel du ministère...
Pour compléter cette question, la CJC a proposé que l'État montre l'exemple en reconnaissant le doctorat dans les fonctions publiques. Ce serait un facteur d'encouragement non négligeable pour les entreprises et plus généralement une mise en conformité vis-à-vis du processus LMD. Notre interlocutrice, qui découvrait apparemment cette idée, en a pris note en disant qu'elle la mettrait à l'étude.
Pour faciliter l'insertion des docteurs dans les entreprises, elle a également appuyé et maintenu la notion de « stages » en entreprise, se basant sur la remarque du parallélisme de la progression du nombre de CIFRE et du nombre de docteurs trouvant un emploi stable en entreprise.
La CJC a alors expliqué que la notion de « stage » est tout à fait contre-productive pour l'objectif annoncé (et qu'au passage si les CIFRE fonctionnaient c'était, entre autre, parce que ce n'était justement pas des « stages »).
Tout d'abord, nous avons fait remarquer qu'il existait bien souvent des obstacles réglementaires pour permettre à un contractuel de l'État par exemple de travailler temporairement dans une entreprise. Nous avons également soulevé dans ces partenariats les questions liées à la propriété intellectuelle. Ce sont là justement des problèmes que ne résout pas la notion de « stage ».
Par ailleurs, proposer des « stages » au niveau D représente une erreur de cible patente. Car ce n'est pas en calquant des dispositifs qui ont toute leur place au niveau M (et qui sont pratiqués depuis longtemps dans les écoles d'ingénieurs) que l'on différenciera aux yeux des employeurs une expérience doctorale d'une formation de master / ingénieur. Avec une telle stratégie, il ne faut pas s'étonner si les employeurs privés continuent trop souvent d'assimiler les docteurs à des « étudiants attardés » !
Nous ne doutons pas de l'intérêt de permettre des possibilités de partenariats avec d'autres milieux professionnels (entreprises, mais aussi administrations publiques, collectivités territoriales, etc.) au cours du doctorat. Nous ne doutons pas non plus du caractère formateur de tels partenariats (tout comme il est formateur pour n'importe quel chercheur ou enseignant-chercheur de développer de telles expériences au cours de sa carrière). Ce que nous proposons est de mettre en avant, dans le cadre de tels partenariats, les compétences spécifiques acquises dans tout travail de recherche qu'un doctorant peut apporter à un acteur socio-économique. Il serait donc plus valorisant pour tous d'envisager ces partenariats en terme de missions d'étude, d'expertise, de consultance, de formation, de transfert de savoir ou de savoir-faire, etc. Pour que de telles missions se déroulent correctement, il faut qu'elles s'inscrivent dans une relation contractuelle clairement définie entre les différentes parties.
Malgré cela, Mme Philippe s'est félicitée d'avoir défendu les modifications apportées au décret régissant les allocataires de recherche en décembre dernier (non parues au JO pour le moment) visant à instaurer la possibilité de « stage » en entreprise pour les allocataires... Exemple type à nos yeux d'une bonne idée mal mise en oeuvre...
Les mots que l'on utilise pour désigner les choses ne sont jamais anodins, et ils peuvent parfois avoir des effets contre-productifs par rapport à un objectif que l'on se fixe.
Ainsi nous avons expliqué que puisqu'on cherche à valoriser le doctorat, puisqu'on cherche à faire évoluer les pratiques vers plus de professionnalisme, alors il faut aussi faire évoluer le discours qui décrit ces processus. Sans cela, on génère des incohérences.
Cela signifie qu'il faut passer d'un discours basé sur l'assistanat à un discours basé sur la reconnaissance professionnelle. Concrètement, une expression comme « Accorder une aide financière ou une bourse à un étudiant » n'a pas du tout le même sens que « rémunérer le travail de recherche d'un doctorant ». De même, « initier un étudiant au monde de l'entreprise » n'a pas du tout le même sens que « développer les partenariats entre univers professionnels durant le doctorat ». Ce n'est pas de la rhétorique, c'est un changement de conception dans la manière d'aborder le doctorat : d'une optique passive de « bénéficiaire », encore trop souvent véhiculée par les institutions académiques, on passe à une optique valorisante qui reconnaît le doctorant comme acteur au sein de la sphère professionnelle de la recherche et de l'enseignement supérieur.
Notons que c'est précisément ce qui est en cours au niveau européen dans les discussions autour du niveau D du LMD.
Un dernier point abordé est celui de la participation des jeunes chercheurs à la vie démocratique des établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Nous rappelons succinctement les profondes incohérences qui existent dans la législation actuelle à ce niveau. Les jeunes chercheurs sont en effet soit tout simplement exclus des systèmes de représentation dans les conseils (typiquement les docteurs non titulaires), soit divisés entre plusieurs collèges électoraux selon des critères totalement arbitraires. Cette population, pourtant quantitativement importante et essentielle au fonctionnement des établissements, est donc de fait très peu présente dans les différents conseils des universités.
Nous rappelons que les États Généraux ont relevé ce problème. La CJC y travaille depuis plusieurs années et a des propositions concrètes sur ce sujet, propositions qui ont déjà donné lieu à des discussions avec la Direction de l'Enseignement Supérieur (DES) au cours de l'année dernière, et qu'il faut désormais poursuivre.
contact @ cjc . jeunes-chercheurs . org © 1996-2024 Confédération des jeunes chercheurs.
Ce document (/interventions/2005-02-07_min-en.html
) a été mis à jour le 10 juin 2007