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Dans le cadre de ses entretiens avec l'ensemble des organisations
représentatives des personnels de l'enseignement supérieur et de la
recherche, Claudie Haigneré a invité la CJC à la rencontrer le vendredi
6 février 2004.
La CJC a pu aborder un grand nombre de sujets sensibles qui touchent directement les jeunes chercheurs, comme la question de la transformation des libéralités en contrats de travail, la représentation des jeunes chercheurs, l'insertion professionnelle, la reconnaissance du doctorat hors du monde académique, l'emploi scientifique.
Étaient présents pour la CJC :
En introduction, Sylvain Collonge regrette que cette rencontre soit si tardive, et signifie clairement que nous n'étions pas là pour reposer les mêmes questions que celles qui lui avaient déjà été posées (par les syndicats, par le collectif « Sauvons la recherche » et la CJC lors des diverses entrevues du mois de janvier), puisque nous connaissions déjà ses réponses et ses non-réponses.
Au contraire, nous avons des points précis à aborder pour y trouver rapidement des solutions. Mais nous souhaitons tout de même revenir sur certaines déclarations de la ministre, qui ne contribuent pas à renforcer la confiance : par exemple, les déclarations sur l'allocation de recherche.
C. Haigneré explique que le gouvernement précédent n'avait pas
bugétisé leur revalorisation. Elle justifie ainsi ses déclarations sur
l'inaction du précédent gouvernement sur cette question. Concernant la
faiblesse des revalorisations, C. Haigneré se déclare consciente de ce
problème : elle précise que lors
d'un de ses discours à l'assemblée, elle a choisi de parler d'allocation « décente »,
alors que ce n'était pas le mot qui avait été préparé pour elle.
Sylvain enchaine sur la « souplesse » au recrutement revendiquée
par le ministère à propos des 550 CDD : il explique qu'une proportion de près de 30% de contrats en
CDD (voir le communiqué de la CJC du 23 janvier) représente déjà beaucoup de « souplesse » et qu'en ajouter ne semble pas une mesure
à même de renforcer l'attractivité.
Le dossier des libéralités est alors abordé. La transformation de 300 libéralités
en salaires en 2004 est présentée par la CJC comme un signe positif et encourageant.
La ministre nous précise alors que le ministère a initié ce mouvement après
avoir rencontré une association de doctorants à Lyon. Nous lui rappelons alors
qu'il s'agissait d'une association membre de la CJC.
Cette initiative sert de transition pour aborder le point essentiel
de cette entrevue : le travail au noir des jeunes chercheurs. Un « rapport sur les conditions de travail illégales des jeunes chercheurs » est alors remis à Mme la Ministre. Le rapport est rapidement présenté, puis un exemple concret est développé.
Sophie Rapnouil présente alors les pratiques illégales de l'école des Mines envers les doctorants. Elle décrit en détail l'ensemble des obligations des doctorants envers l'école des Mines, autant d'indices permettant le requalification en contrat de travail. C. Haigneré déclare alors bien sentir l'importance de ce problème, et que le moment est bon pour en parler.
Sophie et Sylvain reprennent : il y a au moins 300 personnes dans cette situation dans les écoles des Mines et le responsable, c'est l'État (ministère de l'Industrie dans ce cas précis). Or, il ne s'agit que d'un exemple parmi une multitude. Dès lors, une solution au cas par cas n'est pas envisageable : il faut résoudre le problème de façon globale. Parmi les pistes de propositions de la CJC, il y a la définition d'un cadre juridique commun aux doctorants qui éviterait ces situations illégales.
J-F. Cervel se lance ensuite dans un historique mettant
en valeur les avancées concernant l'évolution de la situation des
doctorants depuis 1976 avec la création des Allocations de Recherche,
qui étaient auparavant des bourses. Sylvain Collonge saute sur l'occasion :
M. Cervel pointe très justement le processus historique de
reconnaissance du caractère professionnel du doctorat. Il continue en
précisant qu'il faut désormais aller au bout de ce processus.
Nous concluons ce thème en demandant à Mme la Ministre une réaction
rapide et forte sur ce problème du travail au noir. La possibilité de
plaintes auprès de l'URSSAF par les jeunes chercheurs des Écoles des
Mines est évoquée par Ronan...
Le rapport sur les conditions de travail illégales des jeunes chercheurs
est désormais disponible dans la section
dossiers du site web.
Sylvain
entame la discussion autour de la création du collège
spécifique et du problème de la représentation des jeunes chercheurs,
dont l'absence a justement contribué aux dérives dénoncées aujourd'hui.
J-F. Cervel semble parfaitement saisir le problème : il parle même d'un « no
man's land » entre étudiants et personnels.
Sylvain et Ronan expliquent l'origine du problème, son évolution
jusqu'à aujourd'hui et la nécessité de trancher entre ces 2 grandes
catégories pour rassembler les jeunes chercheurs dans la catégorie « personnels ». Les propositions
de la CJC à ce sujet sont évidemment évoquées, en particulier son
avant-projet de loi portant sur la création d'un sous-collège des
personnels, et pour lesquelles l'expression d'une
volonté politique forte serait bienvenue.
C. Haigneré souhaite avoir nos avis sur la formation au sein des écoles
doctorales, et si notre formation permet de trouver du travail. Sylvain évoque alors le « mémorandum sur l'évaluation de l'application de la charte des thèses
» que la CJC a transmis à la Direction de l'enseignement supérieur. Il insiste sur la
nécessité d'une évaluation de la qualité de l'encadrement.
L'accréditation des écoles doctorales devrait se faire sur des critères plus précis
que ce qui se fait actuellement.
L'emploi scientifique est ensuite abordé, en particulier la question
des débouchés dans les entreprises privées, et plus généralement
l'ensemble du tissu socio-économique. L'État devrait contribuer à
renforcer ces débouchés, par exemple en prenant en compte les embauches
de docteurs pour l'attribution du crédit d'impôt recherche.
Une autre mesure que nous suggérons est la reconnaissance du
doctorat dans les conventions collectives et dans la haute fonction
publique. Pour ce qui est de la haute fonction publique, J-F. Cervel
parle alors des problèmes que cela entraînerait, du fait de la logique
d'accès par concours à la fonction publique.
La discussion s'étend à la nécessité de renforcer les
passerelles existantes entre les « mondes » universitaire et
socio-économique. La ministre se félicite de l'augmentation du nombre
de
contrats CIFRE. Ronan et Sylvain lui font remarquer que
si cette augmentation est sûrement positive, il ne fallait pas
qu'elle se fasse au détriment d'autres formes de financements, telles
que l'allocation de recherche, car certaines disciplines se
retrouvent lésées (notamment les sciences humaines et sociales). L'idée
de l'extension du dispositif des CIFRE à d'autres acteurs que
les entreprises (administrations, associations, secteur para-public,
etc.) est alors développée.
Ronan précise qu'il est difficile pour les jeunes PME de prendre des
engagements sur des durées de 3 ans, car elles n'ont pas de projections
à si long terme, donc elles ne peuvent pas vraiment prendre de CIFRE.
Pour y pallier, on pourrait imaginer de mettre en place des missions
plus courtes de conseil, d'expertise, etc. Ceci doit alors
s'inscrire dans le cadre d'une collaboration, et non pas d'un stage comme cela a
été proposé dans la récente loi sur l'innovation (stage en entreprise
de 3 à 6 mois obligatoire pour les doctorants). Ronan fait remarquer
qu'en abordant cette question sous l'angle du stage, on
part dans le mauvais sens. Il faut s'interroger sur ce que peut
apporter le doctorant aux entreprises, et non pas penser uniquement que
c'est le doctorant qui va apprendre de l'entreprise. Malheureusement, il
n'existe pas de cadre pour ce genre d'interactions à l'heure actuelle. Les clauses de
non-cumuls d'activite qui existent actuellement pour beaucoup de contrats (notamment
les allocations de recherche) rendent ces échanges impossibles ou très difficiles. C'est un
problème général de statut, ou de non-statut selon les cas, mais
globalement on constate un blocage.
Sylvain précise que toutes ces mesures visent à
valoriser le doctorat : les entreprises ne vont pas s'intéresser à ces
doctorants qu'elles connaissent mal si on les lui présente comme des
« étudiants attardés » que l'on paye à coups de « bourses »
et à qui on conseille de faire des « stages ». Il est donc essentiel que les
institutions (et en premier lieu le ministère) se placent dans un vraie
démarche de reconnaissance du caractère professionnel du doctorat.
C. Haigneré pose la question de l'insertion après la thèse.
Sylvain répond que les jeunes docteurs sont à la recherche de postes
stables, d'une embauche précoce. C'est
(ou c'était) un point fort du système français, notamment par sa
capacité à concurrencer un système américain qui dispose d'une
puissance financière supérieure. Cela laisse dubitatif sur l'usage
massif du
« post-doc », qui précarise le système. La ministre pense que l'on peut
essayer de gérer les deux, à la fois l'embauche et le financement.
Ronan recadre le débat : on va actuellement vers la situation où les
voies menant à la recherche publique et les autres voies se séparent
nettement après le doctorat. En effet, s'orienter vers la « voie
post-docs », c'est prendre le risque de
ne plus pouvoir revenir vers l'entreprise. D'après la ministre, il faut
donc organiser des
« sorties » à différents niveaux. C'est aussi l'avis de Sylvain qui
explique qu'à cet effet une
réflexion plus large sur la recherche est nécessaire.
P. Braidy déplore la situation actuelle et indique que les CDD
servent à pallier cette situation en offrant de la
« liberté »
aux jeunes. Selon lui, les jeunes chercheurs réclament ce
« dynamisme », cette « souplesse ».
Ronan dresse alors la liste des problèmes liés à ces CDD :
absence de valorisation de carrière, pas d'ancienneté, pas de prime de
précarité, etc. Cela conduit les
candidats potentiels à une sensation « d'arnaque ». P. Braidy
approuve : « je suis d'accord ! ça prouve que le débat est utile. »
C. Haigneré reprend la parole sur les aides au retour qu'il faudrait
développer.
Sylvain et Ronan lui expliquent qu'il y a plus simple :
faciliter la
mobilité après recrutement. J-F. Cervel et P. Braidy précisent que cela est déjà
possible pour les chercheurs statutaires. Nous confirmons mais en
rappelant les difficultés de procédure, et en pointant l'impossibilité de
fait dans le cas des postes
universitaires.
Ronan enchaine pour développer les avantages de cette mobilité négociée
et organisée : avantages pour le chercheur recruté en terme de
stabilité, avantages pour les laboratoires en terme de collaborations
scientifiques durables, avantages enfin pour le système français qui
concervent ainsi ses « cerveaux » formés à grand prix sans pour autant
se replier sur lui-même.
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) a été mis à jour le 10 juin 2007