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UN TEMOIGNAGE D'HISTORIEN


Version Word, Postscript

 

L'auteur de ce texte est docteur en Histoire et professeur agrégé en collège dans une ville de province, en attendant un recrutement universitaire.

 

 

            "J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les deux rapports de la CEC sur le projet de contrat de thèse en général et sur les problèmes que pose son application aux sciences humaines. Mon expérience personnelle me sensibilise clairement aux problèmes de la formation doctorale. Pour la rappeller rapidement, disons que j’ai défini  moi-même mon sujet de thèse, que mon directeur encadrait à l’époque 80 doctorants tout en étant directeur d’une URA, d’associations de chercheurs, et responsable de nombreuses manifestations internationales, ce qui fait que j’ai dû le rencontrer 4 fois en 7 ans. C’est donc dans une solitude complète que j’ai mené ma recherche, de la définition du sujet pratiquement jusqu’à la soutenance. J’ai pu cenpendant assister à des séminaires de recherche bi-mensuels et j’y ai présenté une fois mon projet de thèse. L’URA que dirigeait mon directeur ne m’a fourni aucun moyen matériel pour ma recherche et je me suis équipée et formée en informatique grâce à mes propres ressources ; la bibliothèque du centre de recherches,  ouverte à tous les étudiants-chercheurs en consultation, n’est d’ailleurs ouverte à l’emprunt que pour les enseignants-chercheurs de l’Université. En ce qui concerne le financement, j’ai été privilégiée puisque, en tant qu’ancienne normalienne, j’ai été payée pendant mon année de DEA - qui est chez nous une année de préparation individuelle à la thèse, avec très peu d’heures de cours - puis j’ai obtenu un poste d’AND de 4 ans en fac. Cependant, étant donné la lourdeur et la lenteur des dépouillements d’archives en thèse d’Histoire, il m’a fallu 7 ans pour parvenir à la soutenance (dont 8 mois pour la seule rédaction), et il m’en aurait fallu davantage si je n’avais pas arrêté toute activité professionnelle pendant les deux dernières années - sous le prétexte d’un congé parental. Pour financer ces deux années de “congé d’études gratuit”, j’ai fait appel à mes économies et à mon conjoint, qui heureusement avait un salaire suffisant pour  nourrir la famille (2 enfants), après quoi j’ai eu la chance la deuxième année d’obtenir une bourse d’une fondation privée pratiquement réservée aux normaliens.

            Cette expérience personnelle, ainsi que celle d’étudiants-chercheurs de ma génération avec lesquels j’ai eu l’occasion de discuter aux archives, a nourri un certain nombre de réflexions au sujet du contrat de thèse. Tout d’abord, je pense que cela serait magnifique si les directeurs de thèse étaient présents, disponibles, s’ils nous aidaient à cerner notre sujet,  s’ils nous dispensaient une formation doctorale, s’ils mettaeint à notre disposition des moyens de formation complémentaire et des moyens matériels (ordinateurs portables pour les dépouillements d’archives, machines et logiciels de traitement de données, secrétariat, etc.). Ce serait formidable si nous pouvions être payés pour faire une thèse et si les relations avec le directeur s’établissaient sur un pied d’égalité contractuelle. Si toutes ces conditions étaient remplies, on pourrait accepter que l’intérêt scientifique des sujets, les contenus de formation, la durée des travaux et le nombre des doctorants inscrits fassent l’objet d’un contrôle. Mais tout cela se situe à mon avis au niveau du rêve et n’a que peu de chances de devenir réalité, eu égard à certaines caractéristiques des Lettres et des Sciences Humaines, que vous avez vous-mêmes en grande partie mentionnées, sans toutefois en mesurer toujours toutes les conséquences. Cela concerne essentiellement les débouchés et le financement.

            Tout d’abord, il faut admettre l’idée que pour la plus grande partie des Sciences Humaines (Lettres anciennes et modernes, Langues, Philosophie, Histoire, Psychologie, etc.) la thèse n’a pas d’autre débouché que l’enseignement supérieur. Sans vouloir négliger ceux qui font une thèse “pour l’amour de l’art”, la grande majorité des étudiants chercheurs qui commencent une thèse à la fin du 3e cycle a pour objectif un poste en Université. Or on sait que le nombre de postes dans les Universités en Lettres et Sciences Humaines est très limité ; par conséquent, si “le doctorat [est] perçu dans une optique moins professionnelle” qu'en Sciences exactes (p. 10), c’est parce que la majorité des doctorants sont réalistes sur leurs chances de débouchés : bien souvent, le doctorat commencé dans une optique professionnelle se révèle a posteriori un pur exercice intellectuel “pour la Science”, au grand dam le plus souvent de son auteur, qui n’a guère que cette noble pensée pour toute consolation. La raison d’un certain nombre d’abandons en cours de thèse est également à chercher dans cette absence de débouchés, autant que dans la solitude du chercheur : pourquoi continuer sans aucune perspective professionnelle ? Cependant, je trouve scandaleuse l’idée de limiter le nombre des doctorants sous prétexte que le ministère refuse de créer des postes (p.16) : les besoins en maîtres de conférences dans les facultés de Lettres et Sciences Humaines sont criants, et plutôt que d’engager sans cesse plus de Prag en 1er cycle on ferait mieux de recruter les innombrables docteurs qui attendent un vrai poste d’enseignant-chercheur, pour lequel ils ont en général toutes les compétences requises, comme l’attestent les longues listes de qualification.

            Le fait que notre seul débouché soit l’enseignement supérieur a encore d’autres conséquences, liées aux modalités actuelles du recrutement en Université. Celui-ci est de plus en plus abandonné à des pratiques quasi-féodales, dans lesquelles les relations personnelles du candidat et son adhésion idéologique aux orientations de la majorité des Commissions de spécialistes ont au moins autant d’importance que la qualité ou l’intérêt scientifique de sa thèse. Au demeurant, un docteur qui a franchi tous les obstacles au recrutement (qualification, etc.) est a priori un candidat apte à remplir les fonctions qu’il sollicite. Depuis la dernière réforme, les Commissions n’ont même plus l’obligation d’auditionner plusieurs candidats pour chaque poste à pourvoir ! Dans ces conditions, les relations de pouvoir sont déterminantes : les doctorants qui aspirent à se devenir les “poulains” de leur directeur dans la perspective d’un recrutement ne seront jamais en position de prétendre leur imposer quelque obligation contractuelle que ce soit. Encore une fois, le doctorant est en position subalterne et de quémandeur vis-à-vis de son “patron” et non dans une relation égalitaire garantie par un statut. Le caractère encore très souvent mandarinal de l’enseignement supérieur, et pas seulement en Ile-de-France, est également à mon sens un sérieux obstacle à deux autres dispositions de votre projet : l’existence de “directeurs administratifs” et de médiateurs et la limitation du nombre de doctorants par encadrant grâce à la mobilisation de personnel de rang B. Tout d’abord, je ne vois pas comment des professeurs accepteraient de voir limiter leurs prérogatives actuelles par des pairs ainsi dotés de pouvoirs supérieurs, ni qui accepterait de jouer ce rôle difficile et dépourvu de retombées personnelles avantageuses (primes ou décharges). De plus, dans de nombreuses facultés d’Histoire, les professeurs ont déjà du mal à accepter que des M.deC. aient le front d’encadrer des travaux de maîtrise, ils ne tolèreront jamais qu’ils encadrent des doctorants, vu le faible effort et le prestige qui s’attachent à ces fonctions: l’encadrement de thèses est un privilège attaché à la fonction professorale. En outre, c'est un privilège lucratif grâce aux primes d'encadrement doctoral, qui attribuent 35.000 F par an à ceux qui encadrent un nombre important de doctorants et encouragent donc à multiplier le nombre de thésards par encadrant.

            La deuxième spécificité majeure des Lettres et Sciences Humaines est celle du financement. Etant donné que nos travaux n’intéressent que les milieux académiques, l’essentiel des financements ne peut se faire que sur crédits publics. Vous avez vous-mêmes souligné la faiblesse de ces financements. De fait, la plupart des docteurs que je connais ont fait leur thèse en travaillant non à mi-temps mais à plein temps comme professeurs de collège ou de lycée. Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions de la lenteur de leurs travaux : en Histoire, comment trouver le temps indispensable aux dépouillements d’archives dans les trous d’un emploi du temps déjà occupé par les préparations de cours et les corrections de copies. Dans ces conditions, il est impensable de limiter à 4 ans la durée de la thèse si elle n’est pas financée : après tout, ces chercheurs ne coûtent rien à personne et paient leurs droits d’inscription en Université et la durée de leurs travaux ne concerne qu’eux. Il ne faut pas s’étonner non plus du nombre des abandons : consacrer tout son temps libre à une recherche aride et solitaire, alors qu’on s’éloigne de plus en plus du milieu universitaire et qu’on a de plus une vie de famille demande un certain degré d’abnégation, bien éloigné de “l’image d’un plaisir bohème” (p. 16), et plus encore s’il n’y a aucun débouché en perspective. Si toutes les thèses étaient financées, il y aurait infiniment plus de doctorants et infiniment moins d’abandons.

            Par ailleurs, si les thèses étaient financées, on accepterait naturellement que les sujets soient soumis à une appréciation critique et que la durée de la thèse soit limitée à 4 ans. Cependant, à mon sens,  le seul critère à prendre en compte pour limiter le nombre des inscrits devrait être l’intérêt scientifique du sujet de thèse, et non le nombre de postes dans les Universités, car cela reviendrait à faire se tarir la création intellectuelle au nom des compressions budgétaires dans la Fonction publique.

            Cependant, ces restrictions étant ce qu’elles sont, il me semble que le principal problème acutellement est justement celui des crédits. Penser que le ministère financera toutes les thèses intéressantes et fonder le contrat de thèse sur ce postulat me paraît une dangereuse chimère, car il n’y a pas de crédits à attendre dans les circonstances actuelles. On se trouverait alors dans la situation d’interdire des recherches parce qu’on n’a pas d’argent à leur consacrer, alors même que des chercheurs de bonne volonté sont prêts à continuer à se passer de financement pour faire progresser les connaissances. Qu’est-ce qu’une communauté nationale qui reconnaît l’intérêt d’une recherche et refuse de l’autoriser parce qu’elle refuse de la financer ? Cela relève purement et simplement de la censure intellectuelle : on ne peut pas interdire aux chercheurs de chercher, surtout s’ils ne demandent rien en échange.

Pour résumer, si le ministère finançait toutes les thèses intéressantes, on pourrait exiger des chercheurs des contre-parties : s’engager à soutenir dans un délai limité, justifier de l’intérêt de leur sujet, se soumettre à des contrôles de formation, etc. Mais comme il n’y a aucune chance que cela soit le cas, il me paraît aberrant de limiter encore plus la durée de la thèse, déjà trop courte pour les salariés à plein temps  et a fortiori  le nombre des doctorants. Après tout, nous ne coûtons rien à personne, alors qu’on nous laisse en paix !  Le contrat de thèse ne pourrait donc s’appliquer que pour les doctorats financés, et non devenir obligatoire.

            Enfin, je voudrais soulever le problème de la publication des résultats de la recherche. Il est actuellement très difficile de publier les thèses, sous quelque forme que ce soit, même résumée, à cause de l’insuffisance des crédits des publications universitaires. De ce fait, la propriété intellectuelle des résultats est assez précaire. Des directeurs de recherche n’ont guère de scrupules à piller sans même les citer des données ou des analyses obtenues par leurs thésards ou celles de leurs collègues, pour alimenter leurs propres publications. Il me semble que votre contrat de thèse devrait envisager le problème de la propriété intellectuelle des résultats et du régime juridique de leur publication. Le problème se pose aussi en sciences exactes, en particulier pour les thèses financées par des entreprises, dans la mesure où les exigences du secret industriel entrent parfois en conflit avec la nécessité académique de la publication des résultats.

            Pour conclure, vous voyez que j’ai lu attentivement et avec intérêt vos propositions, dont je n’avais pas eu connaissance avant, étant donné que les littéraires ont peu d’accès à Internet. Dans l’ensemble, je trouve l’idée d’un contrat de thèse excellente, mais je suis extrêmement pessimiste sur ses perspectives d’application en Lettres et Sciences Humaines, sauf dans les disciplines à débouché “commercial”."

 

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Ce document (/archives/divers/cdt/litteraires/temoin-histoire.html) a été mis à jour le 10 juin 2007

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