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Confédération des Étudiants Chercheurs
groupe de travail
sur les disciplines "littéraires" (DS 6 et 7)
rapport d'activité, 1996-1997


Version Word, Postscript, Texte

Ce rapport n'ayant pas encore été débattu au sein de la CEC, il n'engage pour le moment que ses auteurs.

Les statistiques des rapports annuels de la Direction Générale de la Recherche et de la Technologie (DGRT) sur les études doctorales font ressortir la spécificité des disciplines dites "littéraires" (par opposition aux disciplines dites "scientifiques"): lettres, langues, sciences humaines et sociales (DS 6), sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion (DS 7). Le contrat de thèse conçu par les associations de doctorants composant la Confédération des Etudiants Chercheurs (CEC) n'a que peu de chance d'aboutir s'il ne tient pas compte de ces spécificités.

On soulignera dans la synthèse qui suit les spécificités des doctorants "littéraires", et on proposera une adaptation du contrat de thèse pour intégrer ces disciplines qui représentent plus du tiers des thèses soutenues chaque année (rapport DGRT 1995).

I. Les pratiques doctorales en DS 6-7

1. Un travail solitaire

En DS 6-7, la recherche ne s'organise pas en équipes formant des "laboratoires", mais autour d'individus, de chercheurs confirmés qui s'entourent d'élèves et "font école", suivant une structure pyramidale et hiérarchisée. Les rapprochements géographiques sont rares et s'articulent autour des bibliothèques spécialisées et des activités d'enseignement. Mais les chercheurs travaillent le plus souvent à domicile ou isolément.

Il arrive néanmoins qu'un chercheur confirmé parvienne à constituer autour de lui un véritable laboratoire, rassemblant des compétences, des matériels informatiques et documentaires, et travaillant pour un projet commun, à destination académique ou non. C'est notamment le cas en science économique, en sociologie, en géographie, en archéologie, etc. Il existe une demande extra-académique pour traiter de problèmes d'urbanisme, de politique régionale ou de société.

Mais dans la plupart des autres disciplines (lettres anciennes et modernes, langues, philosophie, histoire, psychologie, etc), le thésard reste seul face à sa thèse et ne rencontre son directeur de thèse qu'une ou deux fois par an. Il n'est pas rare en effet qu'un même directeur "encadre" plusieurs dizaines de doctorants. On peut dans ces conditions parler d'auto-formation à la recherche plutôt que d'une véritable formation doctorale.

Les doctorants "littéraires" s'initient par exemple le plus souvent par leurs propres moyens à l'informatique et aux nouveaux outils d'information. Selon un témoignage, "le sous-équipement des départements relevant des sciences humaines en matériel informatique est proverbial. Quant à la possibilité de se connecter sur Internet et d'entrer en contact avec des chercheurs du monde entier, cela reste une lointaine et grandiose utopie pour la grande majorité des étudiants en sciences humaines français".

Pourtant ces nouveaux outils informatiques modifient en profondeur le travail des chercheurs depuis quelques années.

2. Des thèses longues

La définition du sujet et de sa problématique est un moment crucial de la préparation de la thèse en DS 6-7. Elle détermine à la fois la faisabilité de la thèse et sa pertinence. La qualité de la thèse repose sur l'originalité de son sujet et de son approche, autant que sur l'exhaustivité de ses sources. Il en résulte un allongement souvent important de la durée médiane de la thèse par rapport aux sciences dites "exactes": 4 ans et 8 mois en DS 6, 4 ans et 4 mois en DS 7, contre 3 ans et 4 mois en DS 2 (physique, chimie, génie des procédés) par exemple. Les thèses durant plus de 6 ans représentent 31 % des thèses soutenues en DS 6 et 20 % en DS 7 contre 4 % en sciences exactes (rapport DGRT 1995).

L'âge médian des docteurs au lendemain de leur soutenance est de 36 ans en DS 6, 32 ans en DS 7 contre 28 ou 29 ans pour les autres disciplines. Cette différence d'âge s'explique par la durée de la thèse mais aussi par la pré-insertion plus fréquente des doctorants de DS 6-7 dans le monde professionnel (cabinets-conseils pour les juristes, enseignement secondaire à temps partiel pour les agrégés, etc) et le faible taux de financements spécifiques pour les thèses de ces disciplines.

L'âge plus avancé et la pré-insertion professionnelle des docteurs en DS 6-7 constituent semble-t-il un handicap pour leur embauche dans le secteur extra-académique.

3. Des débouchés surtout académiques, des abandons nombreux

Les débouchés des DS 6-7 sont essentiellement de nature académique. Le rapport de la DGRT de 1995 sur le devenir des docteurs de l'année précédente indique des taux remarquablement bas de recrutement en entreprise: 6,3 % en DS 6 et 12,9 % en DS 7, contre 20,7 % en DS 8 (mécanique, génie électrique, productique, transports et génie civil) par exemple. Les stages post-doctoraux sont également moins développés en DS 6-7 qu'ailleurs.

Dans les disciplines à agrégation, la qualité d'agrégé prédispose le doctorant à postuler à un emploi dans l'enseignement supérieur. Réciproquement, ce dernier a tendance à ne recruter que des agrégés, quelle que soit la qualité de la thèse des candidats non-agrégés. L'agrégation est en effet censée donner une culture générale et une méthode de travail utiles aux activités d'enseignement qui complètent la recherche dans le métier d'universitaire. En réalité, de nombreux docteurs agrégés postulant à un emploi de maître de conférences n'ont que très peu d'expérience dans l'enseignement. Notons que les contraintes budgétaires actuelles du secteur académique sont de toute façon telles, et ce malgré des besoins criants, qu'il n'existe aucune garantie de recrutement pour un doctorant qui aurait accumulé les "atouts" (normalien, agrégé, etc).

Le taux important de situations inconnues (20 %), dans les statistiques de la DGRT sur les disciplines "littéraires", s'explique par l'isolement des thésards, de même que la spectaculaire proportion de thèses inachevées: 55 % contre 10 à 25 % dans les autres disciplines. Ce taux d'échecs varie selon les unités de recherche, les sujets de thèse et le cursus antérieur du doctorant (obtention de l'agrégation). Il signifie qu'une part importante de l'effort de formation doctorale des DS 6-7 se perd dans la nature. Il s'explique par la faiblesse de l'encadrement et du taux de financements spécifiques, qui découragent de très nombreux thésards. Les financements spécifiques représentent 10 à 14 % des thèses commencées mais 30 à 35 % des thèses soutenues en DS 6. Notons que le taux élevé d'abandons en DS 6-7 dégrade l'image de la formation doctorale de ces disciplines dans le secteur extra-académique.

Par ailleurs, une part non-négligeable des thèses en DS 6-7 obéissent à des motivations extra-professionnelles, telles que la curiosité, le plaisir gratuit de la recherche, ou l'image sociale du chercheur solitaire valorisée par la tradition universitaire. Enfin, une part également non-négligeable des doctorants, dépourvus de financement spécifique, travaillent dans une grande précarité matérielle qui les freine dans leurs recherches et qui, souvent, les décourage.

II. Vers une adaptation du contrat de thèse aux DS 6-7

1. Améliorer l'encadrement et le financement des thèses

Le contrat de thèse peut aider les unités de recherche à "mesurer" leur capacité d'insertion dans le monde extra-académique. En DS 6-7, il peut garantir un meilleur encadrement des thésards et un meilleur taux de financements spécifiques, et par conséquent permettre la réduction du taux des abandons.

Ceci étant, le contrat de thèse, tel qu'il est imaginé aujourd'hui par les associations de doctorants constitutives de la CEC, impose des contraintes que d'aucuns peuvent juger abusives en DS 6-7: limitation du nombre de doctorants par directeur de thèse, obligation de financement spécifique, meilleure adéquation à la demande extra-académique.

Une solution au sous-encadrement pourrait être trouvée dans l'utilisation du personnel de rang B (maîtres de conférences, chargés de recherches) pour certains DEA surchargés, avec l'accord du chef d'établissement. Les rapports entre cet encadrant adjoint au directeur en titre, celui-ci et le doctorant seraient fixés par le contrat de thèse. Le chef d'établissement pourrait être amené à refuser son accord pour le lancement d'une thèse visiblement sous-encadrée. Mais cette idée se heurte au risque d'une compression brutale du flux de docteurs: il faut favoriser la régulation du flux de doctorants tout en préservant les équilibres et les besoins de chaque discipline et sans paraître cautionner le malthusianisme de la politique actuelle de recrutement du secteur académique, dont les besoins sont pourtant considérables.

Certains domaines présentent un intérêt purement académique mais ont une grande importance dans l'architecture globale d'une ou de plusieurs disciplines. Leur "utilité" doit être évaluée selon deux critères: le développement d'applications d'une part, la transformation et la diffusion de connaissances d'autre part. Cette évaluation ne sera admise et suivie que si elle provient des plus hautes autorités scientifiques.

Une simulation effectuée sur la base de thèses en 4 ans avec un taux de soutenance de 70 % montre que les DS 6-7 pourraient être dans une situation d'encadrement comparable aux sciences exactes, sans diminuer nécessairement le nombre de thèses soutenues chaque année. La régulation du flux des thèses commencées permettrait d'améliorer non seulement l'encadrement mais aussi le taux des financements spécifiques, auquel le taux des abandons semble lié.

En définitive, rappelons que le but du contrat de thèse est de professionnaliser la formation doctorale dans toutes les disciplines afin de réduire le taux de chômage des nouveaux docteurs en facilitant leur insertion dans le monde professionnel, académique ou non.

2. L'obstacle des mentalités

Le contrat de thèse pose toutefois un problème de nature culturelle. La procédure de recrutement dans le secteur académique, principal débouché pour les docteurs des DS 6-7, fait une large place au clientélisme et au "mandarinat". Dans ces conditions, les relations de pouvoir sont déterminantes: les doctorants qui aspirent à devenir les "protégés" de leur directeur dans la perspective d'un recrutement ne seront jamais en position de prétendre leur imposer quelque obligation contractuelle que ce soit. Ils sont en position subalterne de quémandeurs vis-à-vis de leur "patron" et non dans une relation égalitaire susceptible d'être garantie par un statut. Comme l'écrit le bureau de l'Association des Candidats aux Métiers de la Science politique (ANCMSP), membre de la CEC, "il est étonnant de constater que l'univers soi-disant progressiste d'universitaires incarnant la raison humaine est le lieu du contrôle discrétionnaire d'un patron sur un étudiant" ("Système D", bulletin de l'ANCMSP, n° 5, juin 1997, p. 10-13). Dès lors, l'encadrement de thèses devient un enjeu de pouvoir que les personnels de rang A ne sont pas prêts d'accepter de partager avec ceux de rang B. Ce problème de clientélisme se trouve encore aggravé par la procédure actuelle de recrutement des maîtres de conférences, qui donne une prime aux candidats "locaux", que les commissions de spécialistes connaissent déjà.

Quant au secteur extra-académique, il n'entre même pas dans les préoccupations d'un grand nombre de doctorants "littéraires". Comme l'écrit le sociologue Charles Soulié à propos des doctorants (en sociologie, notamment) bénéficiant d'un financement spécifique de nature académique (moniteurs, ATER, chargés de TD, etc), "il nous semble que le fonctionnement du système universitaire, et plus spécifiquement du monde de la recherche, contribue à alimenter ce type de dénégation, inclinant à refouler, par exemple, la question de l'insertion professionnelle. C'est un univers qui favorise l'illusion d'en être, alors qu'objectivement on n'en est pas, ou qu'on n'en sera jamais. Avec sa logique de la recherche "pure", fondamentale, désintéressée, voire "critique", ce système tend à constituer un cosmos séparé du monde social, un champ particulier avec des enjeux et une temporalité propres, et donc à produire des agents dotés d'habitus spécifiques ajustés au jeu qui s'y joue" ("Actes de la Recherche en Sciences sociales", n° 115, décembre 1996, p. 61).

Notons d'ailleurs que le contrat de thèse ne fait pas de place à la recherche "gratuite", à ces thésards qui acceptent de se passer de financement spécifique et travaillent dans le simple but de faire progresser les connaissances. Il ne tient pas compte non plus de la rareté des moyens de publier des résultats de recherches en DS 6-7.

3. Une nécessaire adaptation du contrat de thèse

En définitive, le contrat de thèse pourrait être étendu aux DS 6-7 avec les amendements suivants:

1. article 7 paragraphe 1: la définition du sujet et de la problématique de la thèse engagent la responsabilité scientifique du directeur de thèse, même lorsque celui-ci n'est pas à l'origine de cette définition.

2. article 7 paragraphe 2: le directeur de thèse s'engage à ne pas diriger plus d'un nombre limité de doctorants en même temps, limite pour laquelle il est de la responsabilité du chef d'établissement de fixer une norme indicative, en tenant compte de la position du directeur de thèse au sein de l'unité de recherche.

3. article 10: Le "parrain" (co-directeur de thèse) est choisi en raison de ses compétences scientifiques parmi des personnalités extérieures à l'équipe de la formation doctorale à laquelle le doctorant appartient, ou bien, à défaut, deux mois après l'inscription du doctorant, par le responsable de la formation doctorale.

4. article 15: La justification par écrit de la demande d'une année supplémentaire pour terminer la thèse doit intervenir, en DS 6-7, lors de la troisième année et non lors de la deuxième. Il doit être possible d'obtenir une quatrième, voire une cinquième année, à condition d'obtenir un financement spécifique, la décision finale revenant au chef d'établissement.

5. article 17: La soutenance sera autorisée à condition que soit portée au crédit du doctorant au moins une présentation publique de son travail de thèse, de préférence dans une publication acceptée soit dans une revue à comité de lecture, soit dans les actes d'un congrès ou colloque si ceux-ci sont référés, soit dans un ouvrage référé.

L'ANCMSP propose quant à elle une réécriture complète du contrat de thèse. Son but est de donner aux doctorants visant une carrière universitaire un statut d'enseignant-chercheur stagiaire qui se substituerait aux statuts d'allocataire-moniteur (AM, AMN), d'attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) et de chargé de TD, ainsi qu'aux heures d'enseignement dites "complémentaires" assurées par des universitaires titulaires en supplément de leur charge horaire statutaire ("Système D", bulletin de l'ANCMSP, n° 5, juin 1997, p. 10-13). Ce projet s'accompagne de propositions pour une réforme de l'ensemble du système universitaire. Sur certains points précis, il rejoint le contrat de thèse de la CEC: financement spécifique sous la forme d'un contrat de travail à durée déterminée limité à deux années mais renouvelable sous conditions (maximum: 5 ans), limitation du nombre de thésards par directeur de thèses (plafond non-précisé), nomination d'un "tuteur" pour co-diriger chaque thésard qui en fait la demande. Ces propositions de l'ANCMSP n'ont pas encore été débattues au sein de la CEC.



STATISTIQUES

Source: rapport DGRT 1995 sur les études doctorales.

Nombre de thèses soutenues en 1994 Progres-sion des thèses soutenues en 1989-1994 Durée moyenne pondérée des thèses soutenues Age médian pondéré de la distribu-tion des âges des nouveaux docteurs Part de recrute-ments en entreprise dans l'année suivant la soutenan-ce Taux de situations inconnues dans l'année suivant la soutenan-ce Taux de thèses abandon-nées avant la soutenan-ce
Total 10 247 + 72 % 3,9 ans 30 ans 12,7 % 10 %10-25 %
DS 6 2432+ 139 % 4,7 ans 35 ans 6,3 % 21 %55 %
DS 7 1081+ 96 % 4,3 ans 31,5 ans 12,9 % 15 %

Source: rapport DGRT 1996 sur les études doctorales.

Nombre de thèses soutenues en 1995 Progres-sion des thèses soutenues en 1989-1995 Durée moyenne pondérée des thèses soutenues Age médian pondéré de la distribu-tion des âges des nouveaux docteurs Part de recrute-ments en entreprise dans l'année suivant la soutenan-ce Taux de situations inconnues dans l'année suivant la soutenan-ce Thèses soutenues en 1995 ayant bénéficié d'un finan-cement spécifique*
Total 9801+ 64 % 3,9 ans 29,7 ans 14,7 % 13 % 74 %
DS 6 2197+ 116 % 4,7 ans 34-36 ans 7,6 % 32 %33 %
DS 7 906+ 66 % 4,2 ans 30-31 ans 16,2 % 25 % 47 %

* financements spécifiques: allocations de recherche type MESR, bourses CIFRE, organismes de recherche, associations et entreprises, ministères et collectivités, bourses d'écoles, bourses pour étrangers, autres bourses, financements stricto sensu, salaires.

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Ce document (/archives/divers/cdt/litteraires/synthese-cdt-shs.html) a été mis à jour le 10 juin 2007

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