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1 Sciences humaines : structures et
positionnement
1.1 Chercheurs et laboratoires
1.2 Les débouchés des docteurs
2 L'encadrement en sciences humaines
2.1Pratiques d'encadrement
2.2 Taux de soutenance
3 Les attentes des doctorants en sciences humaines
4 Les problèmes
posés par le contrat de thèse en sciences humaines
4.1 Le sous-encadrement : mythe ou réalité?
4.2 Le problème du financement
A Estimations de taux d'encadrement potentiels maximaux
B Débats
autour du troisième cycle en Sciences-Economiques
En avril 1995, le rapport HotDocs [Rap95] préconisait la mise en place d'un contrat de thèse afin de préciser les droits et devoirs des différentes parties impliquées dans une formation doctorale : doctorant, directeur de thèse, directeur d'unité, employeur et responsable d'école doctorale. La reflexion présentée dans le rapport HotDocs délimitait le cadre du contrat de thèse, et un certain nombre de principes que celui-ci devrait vérifier.
Devant l'écho que cette idée a reçu, nous avons décidé de continuer notre réflexion et de concevoir un prototype de contrat de thèse qui puisse servir de modèle, ou même être employé tel quel dans un établissement d'enseignement supérieur. Ce travail s'est déroulé entre début mars et fin mai 1996, notamment sur les listes de discussion électroniques HotDocs et Reservoir-docs. Le prototype de contrat, accompagné par un texte explicatif, fut alors soumis aux états Généraux de l'université par la Confédération des étudiants Chercheurs (CEC) le 20 Mai 1996 [dE&H96].
Toutefois, au cours des nombreuses discussions qui ont eu lieu sur et en dehors d'Internet, entre individus ou au sein d'associations de doctorants, avec des chercheurs et enseignants-chercheurs, est apparue la différence de pratiques entre le monde des sciences de l'homme et de la société (1) et les sciences de la matière, de l'information et de la vie. De nombreux participants ont souligné que, si dans ces dernières disciplines, le contrat de thèse élaboré par HotDocs apparaissait comme une proposition relativement proche de la réalité, la situation en sciences humaines était différente.
Ce document est donc destiné à faire une sorte d'inventaire des problèmes spécifiques aux sciences humaines tels qu'ils apparaissent au membres du groupe action-hd. Il ne prétend pas déterminer des solutions précises mais constitue le point de départ d'une réflexion visant à envisager des moyens de faire évoluer les pratiques en sciences humaines dans la direction du contrat de thèse que nous avons proposé.
Les principaux points de différence entre les sciences humaines et les autres disciplines peuvent être regroupés en trois catégories :
- Celles qui proviennent de la structuration du milieu universitaire et de la recherche en sciences humaines, et aussi des débouchés à l'issue d'une formation doctorale en sciences humaines.
- Celles relatives aux pratiques scientifiques et aux méthodes d'encadrement propres aux sciences humaines.
- Celles en rapport avec les attentes des doctorants vis à vis d'une formation doctorale.
Terminologie Dans tout ce texte, nous désignerons par sciences humaines le vaste secteur regroupant d'une part les disciplines telles que le droit et les sciences économiques, mais aussi les sciences humaines à proprement parler (sociologie, histoire, géographie, éthnologie, psychologie, etc) et les lettres (lettres modernes et classiques, littératures étrangères et comparées, langues anciennes, etc). Lorsque nous parlerons d'un sous-ensemble disciplinaire, nous le désignerons explicitement.
Les sciences autres que les sciences humaines seront appelées sciences exactes. Ce sont toutes les sciences de la matière, de l'univers, de la terre, de la vie, de l'information et les mathématiques. L'utilisation de ces deux expressions est guidée par l'usage.
Pour le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche,
les sciences humaines relèvent des Directions Scientifiques (DS) 6
et 7. Les sciences exactes relèvent des directions scientifiques 1
à 5 et 8.
Sans prétendre à
l'exhaustivité, nous allons essayer d'expliciter comment le milieu
académique se structure en sciences humaines, et quelles relations
il entretient avec la sphère extra-académique par le biais des
débouchés des formations doctorales (2).
Enfin, comme les auteurs de ce texte ne prétendent pas à une
connaissance complète du monde des sciences humaines, ce qui suivra
comprendra parfois plus de questions que de réponses. Le but est que
ce texte serve de base à une réflexion de doctorants de sciences
humaines sur leurs formations doctorales.
À titre d'information, l'appendice B rend compte d'un débat qui
traverse la communauté de sciences économiques et de gestion
concernant les formations de troisième cycles (des DEA/DESS à
l'agrégation du supérieur en passant par le doctorat). Nous l'avons
inclus dans ce document pour illustrer une spécificité de cette
discipline. Nous souhaiterions vivement bénéficier d'autres
contributions de ce type dans les autres champs disciplinaires des
sciences de l'homme et de la société.
Une des premières différences entre sciences exactes et sciences
humaines se situe dans la relation des chercheurs et
enseignants-chercheurs à la notion d'équipe. Bien entendu, les
caractéristiques que nous allons dégager souffrent de nombreuses
exceptions mais nous pensons qu'elles correspondent à des tendances
générales réelles.
Dans les sciences exactes, l'impulsion expérimentale a imposé
durant le XIXème siècle le regroupement des individus en équipes
structurées d'où est sortie la notion d'unité de recherche telle
que nous la connaissons aujourd'hui (3). Un laboratoire est un ensemble
de chercheurs ou enseignants-chercheurs et de personnel technique
regroupés autour d'un ensemble relativement cohérent d'activités
de recherches et partageant une infrastructure commune. Au delà de
la notion de communauté thématique, la notion de laboratoire fait
aussi référence à une notion géographique (4).
En général, les chercheurs travaillent au laboratoire, sur un
dispositif expérimental ou dans des bureaux.
Au contraire, en sciences humaines, la recherche s'articule beaucoup
plus autour de quelques individus. Ce sont des chercheurs confirmés
qui s'entourent d'élèves et "font école". Le regroupement
thématique se fait alors souvent sur un mode pyramidal,
hiérarchisé, et non sur un mode horizontal comme en sciences
exactes. Dans certaines disciplines de sciences humaines, l'absence
d'appareillage expérimental rend inutile le regroupement sur un
même site pour le partage de ressources techniques
propres à un thème spécifique. Le seul facteur de rapprochement
géographique est fourni d'une part par les bibliothèques, et
d'autre part par les activités d'enseignement.
Les chercheurs sont de fait souvent localisés dans les universités,
lesquelles sont situées près de grandes bibliothèques et
d'importants musées. La proximité de lieux de culture ou de pouvoir
est aussi un facteur de concentration en sciences humaines. De fait,
le gros de l'activité de formation doctorale en DS 6 et 7 est
concentré dans la région parisienne. On le constate
quantitativement sur la répartition géographique des DEA en DS 6 et
7 [DGR95, page 20] et des thèses soutenues en DS 6 [DGR95, pages 52
- 54]. Enfin, le bilan social du CNRS [CNR93] confirme cette tendance
: le département scientifique Sciences Humaines et Sociales (SHS)
concentre 65,4 % de ses effectifs chercheurs en Ile de France (5) alors
que le taux global du CNRS hors instituts nationaux est de 47,7 % !
Concentrés dans les universités franciliennes, les chercheurs en
sciences humaines n'y sont pas toujours présents, préférant
souvent travailler à domicile. Ceci influence fortement la méthode
d'encadrement comme nous le verrons dans la prochaine section.
Plusieurs bémols doivent être apportés à cette dichotomie. En
effet, il existe des variations au sein du monde des sciences exactes
comme en sciences humaines. Sans prétendre à une typologie
complète, voici quelques exemples de nuances à apporter à ce
schéma :
En physique théorique, le même phénomène s'observe : ainsi le
très célèbre Institut Landau à Moscou se résumait en un
secrétariat et un séminaire hebdomadaire ; les chercheurs
travaillant à domicile.
De plus, l'ouverture par nature sur le secteur extra-académique et
la nécessité pour ce dernier, de dialoguer avec des interlocuteurs
solides, ont aussi contribué à la constitution de ces pôles
d'excellence. C'est le cas notamment en économie. Quels que soient
les centres d'intérêt (économie industrielle et de l'innovation,
économie bancaire, économie des transports, économétrie, etc),
les chercheurs se sont regroupés dans des unités de recherche au
sein desquelles ils travaillent en équipe sur des projets
d'envergure. Ce qui ne les empêche pas, en outre, de participer à
des projets plus personnels dans le cadre de collaboration avec
d'autres unités de recherche voire le plus souvent avec des
organisations externes au secteur académique.
Les doctorants bénéficient donc de telles structures d'accueil et
de la logistique qu'elles supportent (bureau, documentation
spécialisée, matériel informatique, secrétariat). Plus encore, le
doctorant se trouve plongé dans une véritable ambiance
professionnelle puisqu'il est amené à cotoyer au quotidien
chercheurs et autres doctorants. Toutefois, il convient de nuancer :
la solitude du thésard face à sa thèse, le sous-encadrement
chronique, entre autres, demeurent.
Cependant, le doctorant bénéficie au moins de conditions
matérielles décentes pour accomplir sa thèse.
Mentionnons aussi la sociologie où les techniques d'entretien ont
beaucoup évolué, le caméscope remplaçant souvent le bloc-notes.
Evolutions possibles On peut se hasarder à quelques remarques
prospectives suggérant un rapprochement entre la pratique du
laboratoire en sciences humaines et en sciences exactes.
Le développement des systèmes d'information, de recherche
documentaire informatique, d'accès à ces données par Internet va
probablement changer fondamentalement les habitudes de travail en
sciences de l'homme et de la société. Le principal apport sera de
modifier le rapport aux bibliothèques : on peut imaginer que l'on
fréquentera moins les bibliothèques, mais qu'on les consultera à
distance.
Les chercheurs auront donc besoin d'avoir accès à des postes de
travail connectés au réseau. Certains de ces postes seront sans
doute dotés de capacités graphiques pour les besoins de certaines
recherches, par exemple en géographie, en histoire de l'Art ou dans
l'étude de manuscrits anciens. D'autres devront être capables de
supporter d'importants débits ou de grosses bases de données
littéraires, économiques, juridiques...
Pour ces raisons, sauf développement assez rapide de réseaux à
haut débit et bas prix pour les particuliers, il est probable que
cela entraînera un regroupement physique en unités de recherche des
chercheurs analogue à ce que l'utilisation d'appareils
expérimentaux a entrainé en physique ou en chimie.
Il convient de préciser que ce n'est qu'un scénario prospectif. Ce
mouvement pourrait très bien être freiné ou empéché par la
multiplication de postes de travail connectés au réseau dans les
bibliothèques.
Paradoxalement, le développement des technologies de l'information
pourrait entrainer un mouvement inverse en sciences dures : ainsi,
les unités de recherche en astrophysique sont maintenant
découplées des lieux d'observation (7). Les laboratoires de physique
théorique sont souvent assez éloignés des grands accélérateurs,
des expériences d'unités multilocalisées se développent.
Généralités Les sciences exactes
ont depuis longtemps trouvé un débouché extra-académique
évident. Ainsi, on peut dire que le quart de siècle qui a suivi la
seconde guerre mondiale fut dominé
par la physique, en partie à cause de la guerre froide (8) : l'âge
moyen des "US faculty members" en physique se met à augmenter
linéairement à partir des années 70, signe d'un recrutement
fortement stagnant. Ne lit-on pas dans cet article : "The importance of technological developments during World War II,
such as radar and nuclear weapons, convinced people in power, in both
government and industry, to support an unprecedented growth in
physics. The bulk of this support was directed
at a rich but narrow set of questions that appeared to be relevant to
the defense and electronic industries."
Avec l'essor de la société post-industrielle, c'est-à-dire
principalement tertiaire, c'est le traitement et la maîtrise de
l'information qui est devenu un facteur important de réussite
économique. Du coup, depuis la fin des années 70, on a assisté à
un décollage industriel dans ce domaine. Il est d'ailleurs
intéressant de constater comment ce marché, en dehors de quelques
grands constructeurs, bouillonne au niveau de petites entreprises
bâties autour d'une innovation technique issue de la recherche
académique.
Enfin, la biologie connait un développement important dû à
l'expansion de la demande de santé et des besoins de l'industrie
agro-alimentaire dans les pays développés et, dans une certaine
mesure, dans les pays en voie de développement.
Tout cela montre clairement l'implication du dispositif de recherche
mais aussi d'enseignement supérieur en sciences exactes dans le
tissu industriel secondaire et tertiaire.
À l'opposé, et pour caricaturer un peu, on peut dire que les
sciences de l'homme et de la société sont restées plutôt
académiques et destinent à l'enseignement supérieur et secondaire
ceux qui s'y lancent.
Ce constat doit être modéré car les différentes disciplines des
sciences humaines sont très différentes. On imagine sans peine que
la relation entre une unité de recherche en économie des transports
et le monde extra-académique n'est pas la même que celle d'un
centre de recherches en archéologie. De fait, on observe que
d'importants secteurs des sciences de l'homme et de la société,
comme les sciences économiques et de gestion, mais aussi les
sciences sociales, tendent à développer des liens de plus en plus
étroits avec le monde extra-académique.
État des lieux statistique Des données quantitatives extraites des
rapports de la Direction Générale de la Recherche et de la
Technologie (DGRT) viennent étayer les remarques précédentes.
À l'opposé, la DS8 -- mécanique, génie électrique, productique,
transports et génie civil -- présente un taux d'insertion
académique de 45,4 % et de 20,7 % dans les entreprises.
Les données de la DGRT montrent aussi que le post-doctorat est peu
développé dans les sciences humaines. En fait, ce sont 37+62=99
soit moins de 4 % des docteurs de la promotion 1994 en sciences
humaines - DS 6 et 7 - qui sont partis en post-doctorat à l'issue de
leur thèse, à comparer aux
641 départs pour la DS 5 qui représentent une proportion de 34 % !
On voit donc que la pratique post-doctorale concerne beaucoup moins
de doctorants en sciences humaines qu'en sciences exactes.
Enfin, le fort taux de situations inconnues des DS 6 et 7 - près de
20 % - n'est-t'il pas une conséquence du caractère plus "solitaire"
des chercheurs et des doctorants de ces disciplines ? De plus, il
convient de rappeller qu'une forte proportion des thèses commencées
en sciences humaines ne sont jamais soutenues : près de 55 % selon
la DGRT.
En conclusion, nous pouvons dire que les éléments chiffrés de la
DGRT permettent d'étayer les tendances décrites dans les
paragraphes précédents. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que
des variations subsistent au sein des directions scientifiques : les
données par GER (10) le montrent clairement. Enfin, les variations
suivant les unités de recherche, les sujets de thèse, le cursus
antérieur du doctorant (11) ne doivent pas être sous-estimées. Ce
dernier point est d'ailleurs vrai pour les sciences exactes.
Évolutions possibles Une évolution de la demande est à prévoir en
sciences humaines. En effet, dans certains secteurs des sciences
sociales, économiques et juridiques, on peut imaginer une
augmentation de la demande. Ceci a déjà été évoqué par exemple
lors de la Consultation Nationale sur la Recherche en 1994. Une des
raisons invoquées réside dans la montée en puissance de la
décentralisation qui catalyserait un appel de compétences par les
collectivités locales et régionales. Une autre raison invoquée est
le poids croissant des préoccupations sociologiques, géographiques,
dans le traitement de certains problèmes de société (aménagement
urbain, politique régionales, etc). Mais il n'est pas évident de
savoir comment cela se développera : la décentralisation remonte
aux années 80 et on pourrait arguer que la demande de personnels
formés par la recherche a atteint un pallier.
Lors d'une réunion avec plusieurs élus de la région
Midi-Pyrénées organisée le 1er Juillet 1996 à Toulouse par le
Collectif des Doctorants Toulousains, S. Didier (député UDF) s'est
montré assez pessimiste sur les capacités d'absorbtion de docteurs
par les collectivités locales.
Paradoxalement, cette évolution peut être source de
difficultés. Un décalage entre les préoccupations académiques et
les demandes d'employeurs potentiels extra-académiques apparaîtra
sûrement dans nombre de situations. Par exemple, en droit, la
demande extra-académique peut être assez éloignée des
préoccupations de théoriciens du droit.
Une question est de savoir si le contrat de thèse ne peut pas être
un moyen d'aider cette évolution. En effet, par la dimension de
suivi, il peut permettre pour une unité de recherche ou
pour une université de "mesurer" sa capacité d'insertion hors du
monde académique.
Bien sûr, la difficulté réside dans les nuances à apporter
suivant les différentes disciplines. Clairement, même si on peut
espérer des améliorations en terme d'insertion extra-académique
dans les sciences humaines globalement, le paysage restera contrasté
suivant les disciplines.
De la même façon que la notion de laboratoire diffère entre
sciences humaines et exactes, la pratique de l'encadrement doctoral
n'est pas la même. On peut le voir au niveau des relations entre
doctorant et directeur de thèse, ainsi qu'au niveau de la
définition du sujet et de ce qui est attendu d'une thèse. La durée
des thèses est également très différente suivant les disciplines.
Des données quantitatives sur les taux de soutenances montrent
également une différence flagrante entre les sciences humaines et
les autres disciplines.
Relations avec le directeur de thèse En général, le doctorant en
sciences humaines est beaucoup moins en contact avec son directeur de
thèse qu'un doctorant dans une discipline scientifique. Certains
doctorants reconnaissent ne voir leur directeur thèse qu'une ou deux
fois par an.
Il est également fréquent qu'un directeur de thèse "encadre"
jusque 10 ou 20 doctorants. Ceci est relié à la faible fréquence
des rapports entre directeur de thèse et encadrant. La question que
l'on peut se poser, est celle de la signification d'une formation
doctorale dans ce cas... Il s'agit en effet plus d'auto-formation que
de formation par le directeur de thèse.
Il est intéressant de constater que la répartition des DEA par
effectifs suit des règles analogues. Comme le mentionne [DGR95, Page
18], les DEA en sciences humaines et sociales présentent la
distribution en taille la plus hétérogène et en particulier
concentrent 60 % des DEA d'au moins 80 inscrits. On note même 7 DEA
de plus de 300 inscrits ! À titre indicatif, l'effectif maximum dans
les DS 1, 2 et 3 est de 90.
Définition du sujet et contenu de la thèse De plus, la définition
du sujet n'a pas le même sens entre sciences exactes et sciences
humaines. Dans le premier cas, la problématique est en général
relativement bien définie au départ, même si le programme de
travail n'est pas posé pour trois ans au départ. En revanche, en
sciences humaines, une partie non négligeable du travail de
recherche consiste à poser la bonne problématique et à trouver
l'angle d'attaque correspondant -- en clair à préciser et poser un
sujet. Cette différence semble difficilement réductible, car de
nature presque "culturelle". C'est une spécificité essentielle des
sciences humaines.
Un autre point important réside dans l'exhaustivité des études en
sciences humaines. Ainsi, en histoire comme en droit, une partie
importante du travail de recherche consiste à élargir et explorer
le fond documentaire. À l'opposé, on considère dans les
disciplines scientifiques qu'une étude incomplète mais bien
délimitée est recevable. Sa complétion pourra faire l'objet d'un
travail
ultérieur.
La durée des thèses Ces deux facteurs contribuent à rallonger le
travail de thèse. Le danger est évidemment d'avoir des thèses qui,
calquées sur le modèle de la thèse d'état, constituent l'oeuvre
d'une vie, mais qui sont catastrophiques en terme d'insertion
professionnelle extra-académique et en terme d'avancement de
carrière dans le monde académique (12).
Les rapports de la DGRT contiennent une étude assez détaillée de
la durée des thèses par direction scientifique [DGR95, pages 42 -
43 et 59 - 60] et [?, pages 54 - 60]. Les données concernant l'âge
des docteurs sont également importantes et bien sûr sont
corrélées à la durée des thèses.
Signalons tout de suite que les enquêtes de 1994 et 1995 donnent des
résultats très proches. Nous n'entrerons pas ici dans le détail
des évolutions mais soulignons les traits les plus frappants :
Pour 1993 et 1994, en DS 6, 31 % des thèses soutenues ont été
préparées en six ans ou plus contre 19,9 % en DS7 et surtout 4,2 %
dans les sciences exactes !
Ceci montre que les sciences humaines se distinguent par une
proportion assez importantes de thèse longues (5 ans et plus) et par
une proportion assez élevée de docteurs agés (au delà de 32
ans). Ceci est à mettre en relation avec la présence plus
importantes de doctorants pré-inserrés en sciences humaines :
juristes travaillant dans des cabinets conseils, agrégés du
secondaire affectés à temps partiel, etc.
Deux remarques doivent cependant être faites :
- Par de nombreuses participations à des colloques et des journées
consacrées à l'insertion des
docteurs scientifiques, nous avons appris qu'un âge trop avancé
constituait un handicap pour le passage dans l'industrie.
Le syndrôme de l'"étudiant attardé" fait des ravages, en
particulier chez les post-doctorants de retour au pays.
- On ne sait pas quantitativement quelle est la nature des
pré-insertions des doctorants en
sciences humaines, et quelle est son influence sur le devenir du
docteur ou même sur le taux de soutenance.
Nous nous demandons dans quelle mesure, la durée plus longue des
thèses en sciences humaines ne constitue par un frein à l'embauche
des docteurs dans le secteur extra-académique.
Pour la première fois, une estimation des taux de soutenance par
direction scientifique a été effectuée par la DGRT dans
[DGR95]. Les résultats sont assez frappants : le taux d'échec
estimé est de 10 à 25 % sauf en sciences humaines où il atteint 55
% ! On se souviendra que de plus le taux de situations non
précisées est considérablement plus élevé qu'ailleurs dans les
DS 6 et 7 (Selon [DGR95], 21 % en DS6 et 15 % en DS7 contre 10 % pour
l'ensemble des DS).
On doit donc constater qu'une partie importante de l'effort de
formation doctorale effectué dans ces disciplines se perd dans la
nature ! Certes, ceci est à mettre en regard du faible taux de
financement et du peu de contacts - et donc du peu d'efforts ? -
consentis par certains directeurs de thèse, mais est-ce pour autant
une bonne chose?
Dans l'optique d'une certaine professionalisation du doctorat qui a
guidé la réflexion sur le contrat de thèse, il est souhaitable
d'améliorer le taux de financement en faveur des DS 6 et 7. Mais
nous soulignons que les chiffres ci-dessus suggèrent fortement
qu'une amélioration des taux de financement est liée aussi à une
augmentation des taux de soutenances. La collectivité nationale
(secteurs public et privé confondus) est en effet en droit de
demander des comptes sur l'utilisation des fonds alloués à la
formation doctorale : la multiplications des thèses qui s'enlisent
et n'aboutissent à rien de tangible n'étant pas faite pour
encourager les financeurs potentiels. Il y a là un cercle vicieux
qu'il conviendrait de briser par un effort bilatéral.
Il semble bien que
sur ce point existe aussi des différences entre doctorants en
sciences de l'homme et de la société et doctorants des autres
disciplines.
Ce qui va suivre est basé d'une part sur des discussions avec des
doctorants de sciences humaines et d'autre part sur de récents
messages sortis sur HotDocs.
Deux questions se posent naturellement :
- Qu'attendent les
doctorants en sciences humaines d'une formation doctorale en termes
de
formation, et en termes d'insertion professionnelle?
- Pourquoi semblent-t-ils plus enclins à faire des thèses non
financées que leur homologues des
autres disciplines?
Il semble que les doctorants en sciences humaines considèrent plus
facilement le fait de faire une thèse indépendemment des problèmes
de débouchés post-doctoraux. Sur ce point, on peut véritablement
parler de différence culturelle assez bien résumée par cette
discussion sur HotDocs :
Une doctorante de sciences exactes :
Réponse d'une doctorante en sciences humaines :
et aussi :
Cette notion de "thèse pour le plaisir" revient souvent comme
motivation chez les doctorants de sciences humaines (comme de
sciences exactes d'ailleurs). Ce qui interpelle, c'est qu'elle est
souvent associée à une absence totale de préoccupations sur la
formation doctorale. Bien entendu, ce sont des généralités et il y
a beaucoup de fluctuations, mais il semble bien que le doctorat soit
perçu dans une optique nettement moins professionnelle en sciences
humaines que dans les autres disciplines où la préoccupation du
débouché semble plus présente.
On peut alors se demander ce qui relève de la simple reproduction du
modèle existant (15) - autrement dit la "tradition" - de ce qui est
réellement imposé par des nécessités scientifiques. Que penser de
ces commentaires d'une doctorante en droit sur les débouchés :
et sur les pratiques de recherche :
Les problèmes posés par le contrat de thèse en sciences humaines
touchent principalement à deux sujets : d'une part le financement
des thèses et d'autre part l'encadrement.
Dans le premier cas, c'est la limitation du nombre de doctorants
encadrés simultanément qui a soulevé des polémiques. Il a été
rappelé que dans les disciplines relevant des DS 6 et 7, le nombre
d'encadrants habilités à diriger des recherches était trop faible
pour permettre une telle limitation.
Concernant les financements, il a été argumenté que l'obligation
de financement des doctorats énoncée dans le contrat de thèse
"tuerait" la recherche dans certaines disciplines littéraires
déconnectées de toute application extra-académique. Nous insistons
sur le fait que cet argument a aussi été avancé par des doctorants
des autres disciplines (sciences exactes) pour expliquer que
certaines
unités de recherche ou certains sujets souffriraient de l'obligation
de financement.
Enfin, les propositions HotDocs allant dans le sens d'une régulation
des flux de doctorants, elles ont chez certains entraîné un choc
psychologique. Le doctorat étant souvent perçu uniquement comme un
diplôme - et non pas comme une première expérience professionnelle
- l'idée que l'on puisse subordonner l'inscription à certaines
conditions dérange.
Nous allons examiner ces deux points et donner quelques éléments de
réflexion sur chacun déux. Ces éléments ne prétendent pas être
des solutions mais des pistes de réflexion pour ceux qui voudraient
se pencher plus avant sur les modalités d'application du contrat de
thèse en sciences humaines.
Un des arguments avancé contre nos propositions de limitation du
nombre de doctorants encadrés simultanément par encadrant se fonde
sur le trop faible nombre d'encadrants pour les formations doctorales
en sciences humaines.
Dans cette section, nous avancons quelques éléments chiffrés qui
donnent une mesure du sous-encadrement en sciences
humaines. Curieusement, il apparaît que cette question est liée aux
taux de soutenance des thèses et aux catégories de personnels que
l'on considère dans l'encadrement (16).
Données CNRS Les sections 31 à 40 du comité national sont
consacrées aux sciences humaines et de la société. Une mesure du
potentiel d'encadrement peut se faire d'une part au niveau des
effectifs de directeurs de recherche mais aussi au niveau des
effectifs CR1. En effet, sont recrutés ou promus CR1 de jeunes
chercheurs présentant déjà une solide expérience de recherche.
Nous pensons qu'un certain nombre d'entre eux sont aptes à diriger
une thèse autour d'un projet bien défini.
Le tableau suivant présente les effectifs DR et CR1 au 1er décembre
1995 pour les sciences humaines (première ligne) et exactes (seconde
ligne), ainsi que le ratio CR1/DR :
1 Sciences humaines : structures et positionnement
1.1 Chercheurs et laboratoires
1.2 Les débouchés des docteurs
2 L'encadrement en sciences humaines
2.1 Pratiques d'encadrement
2.2 Taux de soutenance
3. Les attentes des doctorants en sciences humaines
la Recherche a besoin de ces thesards. bien d'accord ! mais j'admire
cette vocation qui permet d'avoir cette seule motivation, si tant est
que la soit la reponse. Ca devient pire que de se faire pretre! Je ne
suis pas une mere Theresa ou un St Vincent de Paul, etc... si ces
litteraires ne bossent que pour le plaisir d'avoir fait une these et
fait avancer la Science, alors ce n'est pas une these qu'ils
meritent, c'est une aureole !
D'apres toi! Il ne
t'est jamais venu a l'esprit que les thesards litteraires pouvaient
avoir une toute autre facon de fonctionner que la tienne? Tout le
monde ne cherche pas la reconnaissance. J'ignorais que l'uniformite
d'esprit etait a ce point pregnante. Remarque, je devrais le savoir,
en bossant sur l'influence sociale et les mecanismes de pensee
convergente...
Ton probleme n'est pas forcement celui des autres. Il y a
encore (et oui) des gens qui entreprennent certaines choses pour le
plaisir, et pas seulement dans un but uniquement materiel (sans
vouloir tomber dans la dichotomie habituelle).
Quant aux debouches. En droit, si tu fais une these c'est que tu veux
rester a l'Universite. De la qualite de ta these dependra ta
qualification au CNU.
Je crois qu'il faudrait que les
thesards comprennent que la recherche n'est pas la meme selon les
differentes diciplines et que des lors des amenagements sont
necessaires. Les "sciences dures" travaillent en equipe dans des
labos. Chez nous on est seul face a la these et ceci pour une duree
de 4-5 ans. Ce qui est sur c'est que j'ai voulu faire une these et si
je n'avais pas ete financee je l'aurai quand meme faite. Je ne sais
pas si on est plus desinteresse que les autres. En tout cas, j'aime
ce que je fais meme si ce n'est pas facile tous les jours.
4. Les problèmes posés par le contrat de thèse en sciences
humaines
4.1 Le sous-encadrement : mythe ou
réalité ?
Secteur | Effectifs DR | Effectifs CR1 | CR1/DR |
DS 6 & 7 | 736 | 1192 | 1,62 |
Autres | 3747 | 4785 | 1,28 |
Données universitaires Pour 1994-1995, nous disposons des effectifs maîtres de conférences et professeurs dans trois catégories : les commissions relevant de la DS 7 (sciences juridiques, politiques et de gestion), de la DS6 (lettres et sciences humaines) et enfin des autres disciplines (17) (sciences exactes). Ces données sont résumées dans le tableau suivant :
Secteur | Prof | Effectifs MdC | MdC/Prof |
DS6 | 3684 | 7241 | 1,97 |
DS7 | 2064 | 3172 | 1,54 |
Autres | 6908 | 13259 | 1,92 |
Nombres de thèses Il est enfin utile de rappeler quelques données globales sur le nombre de thèses commencées, soutenues, et sur le nombre de doctorants inscrits en thèse pour les DS 6 et 7 et le secteur des sciences exactes.
Secteur | Commencés 94 | Soutenues 94 | En cours 95 |
DS 6 | 6050 | 2432 | 24592 |
DS 7 | 3714 | 1081 | 13206 |
Autres | 8280 | 6728 | 30905 |
Le rapport DGRT 1995 contient une estimation des flux de docteurs par direction scientifique pour 1998. En DS6, il reste approximativement constant à 2400. En DS 7, il augmente jusque 1400. Le flux en sciences exactes devrait tendre à se stabiliser. Pour résumer, on peut donc tabler sur un flux de docteurs scientifiques d'environ 6750 qui correspond à un flux de doctorants annuel d'environ 8500. En sciences humaines, le flux de docteurs maximal est d'environ 3800 par an. Si les taux de soutenance étaient de l'ordre de 70 %, cela correspondrait à un flux de doctorants annuel d'environ 5450. Avec un taux de 80 %, on arrive à 4750 doctorants par an.
Taux d'encadrements Nous avons calculé dans l'appendice A plusieurs taux d'encadrement. Ils correspondent en gros à une estimation du plus faible nombre moyen de doctorants par encadrant. Nous renvoyons le lecteur à l'appendice pour les détails et nous allons présenter ici les conclusions de cette analyse.
Celle-ci nous fournit deux idées intéressantes :
Notons que cela se pratique déjà souvent en sciences exactes mais qu'on inscrit le doctorant avec un directeur administratif de rang A ou habilité. Dans le rapport HotDocs, nous avons souligné le danger de ce type de pratique, à savoir le rejet mutuel de responsabilité en cas de difficulté entre les deux directeurs de thèse.
Nous suggérons que les personnels non habilités, ou de rang B, puissent encadrer des thèses mais pas de façon systématique. Un examen du projet doctoral et des éventuelles expériences antérieures d'encadrement nous semblent nécessaire. L'accord d'encadrement serait délivrée par le chef d'établissement (18) au vu du projet et des éventuelles expériences précédentes d'encadrement. Le contrat de thèse, parce qu'il permet un suivi de la qualité de la formation dispensée nous semble un outil adapté à ce mode de fonctionnement. Il peut ainsi jouer le rôle d'instrument d'évaluation naturel pour la délivrance de l'habilitation à diriger les recherches.
Il nous semble qu'un objectif à atteindre serait une évolution des pratiques d'encadrement doctoral visant à reserrer les liens entre directeur de thèse et doctorant, de façon à augmenter le taux de succès tout en ne comprimant pas brutalement le flux de docteurs.
Pour résumer, l'analyse effectuée sur la base de thèses en 4 ans, avec un taux de soutenance de 70 % (voisin de ceux en sciences exactes) montre que les sciences humaines pourraient être dans une situation d'encadrement potentiel comparable aux sciences exactes (19).
La question est de savoir comment favoriser cette évolution tout en préservant les équilibres et les besoins de chaque discipline.
Il importe en effet de ne pas sacrifier des domaines qui ne présentent qu'un intérêt purement académique ou très fondamental mais qui sont importants dans l'architecture globale d'une discipline, ou tout simplement au confluent entre plusieurs disciplines. Comme l'avait fait remarquer A. Devaquet dans [?, pages 19 - 24], il convient de comprendre la recherche comme un processus complexe, un foisonnement de questions, de méthodes, d'idées, de concepts, mais aussi de d'outils, de techniques d'une très grande diversité et d'une redoutable complexité.
Nous avions souligné l'importance de ces équilibres dans le premier chapitre du rapport [Rap95], il convient encore de les souligner. Comme le dit A. Devaquet [?, voir pages 72 - 80] :
"Regardons ensuite la démarche qui fait passer de la science à la technique. Rappelons simplement, ici, que pendant longtemps, la technique et la science se développèrent indépendemment l'une de l'autre. Aujourd'hui, seule une modeste partie de l'énorme production scientifique conduit à l'innovation technique. Et elle y conduit par un chemin complexe, sans balisage, qui fait intervenir des facteurs non scientifiques mal connus et des médiations obscures."
Mais au delà de la simple innovation technique, les grands équilibres mystérieux de la recherche sont un des facteurs importants dans le cheminement des connaissances dans le système éducatif. C'est par sa capacité à assurer la diffusion des savoirs, leur modification en fonction des évolutions scientifiques et leur descente des laboratoires où ils se créent vers le corps social qu'un système éducatif réussit.
L'"utilité" d'une discipline doit, selon nous, être estimée au vu
de ces deux missions -- développement technique ou applications
d'une part et transformation et diffusion des connaissances d'autre
part -- parfois présente conjointement ou séparément, et pas
toujours de manière immédiatement perceptible (20).
On trouvera en [DGR95, Pages 50 - 51] les données relatives au
financement des thèse soutenues en 1994 et commencées en 1994. Il
apparaît évident que les taux de financement en DS 6 et 7 sont plus
bas que dans les autres disciplines.
Les financements en sciences humaines Mais on remarque aussi que le
taux de financement des thèses soutenues est beaucoup plus élevé
(environ 30 à 35 % en DS 6, 28 % pour le GER 7.1 et 60 % pour le GER
7.2) que celui des thèses commencées (de 10 à 14 % en DS 6, 14 %
pour le GER 7.1 et 33 % pour le GER 7.2). Certes, on compare là des
thèses commencées et finies la même année et du fait de la forte
augmentation du nombre de thèses dans ces deux DS, on peut se dire
que la chute de taux est la trace d'une augmentation du nombre de
financements plus faible que celle du nombre de docteurs. Mais on
peut se demander s'il n'y a pas un réel effet :
Quelle est la corrélation entre le taux d'abandon en cours de thèse
et le financement ou le non-financement des thèses? Ne doit-t'on pas
mesurer les besoins en financement au vu des flux de thèses
soutenues
et non pas des thèses commencées dans les DS 6 et 7? Quelle est
l'influence du non-financement sur les taux d'abandons en cours de
thèse?
Nous manquons des données statistiques pour répondre à la
première et à la troisième question mais nous pensons que ces deux
questions doivent être abordées.
Concernant la seconde question, des éléments statistiques sur le
nombre d'aides distribuées par disciplines existent. Nous allons les
rappeler : sur l'ensemble des DS 6 et 7, si on additionne tous les
financements pour les thèses commencées en 1994, on arrive à un
total de 1510 financements.
On peut comparer cette donnée à la situation pour les docteurs qui
ont soutenu leur thèse en 1994 et donc qui l'ont commencé environ
4-5 ans plus tôt. On remarque immédiatement que le nombre total de
financements a augmenté de 40 %. Cette donnée montre une évolution
favorable de la situation.
On note aussi que si, pour les docteurs ayant soutenu en 1994, le
nombre de salariés (21) est d'environ 350, la rubrique correspondante
(22) pour les doctorants ayant commencé en 1994 ne totalise que 160
doctorants.
Est-ce dû au fait qu'un certain nombre de doctorants n'obtiennent un
salaire qu'après leur inscription? Est-ce dû à une diminution des
doctorants financés par un salaire entre 1990 et 1994? Nous n'avons
pas la réponse à ces questions.
Enfin, combien de doctorants financés se trouvent dans les
situations inconnues? Probablement très peu d'allocataires du
ministère (23) mais combien d'autres financements, d'autres salariés
et dans quelles activités?
Rappelons enfin que la part des financements par salaire est
considérablement plus élevé en sciences humaines (33 % des
financements) qu'en sciences exactes (moins de 10 %) (24).
La jungle des "sans-financements" Ceci amène à étudier de plus
près le vaste monde des "sans-financements", apparemment très
important numériquement et très diversifié dans les sciences
humaines. Mais avant cela, il faut faire une première typologie
entre les doctorants.
Ainsi, nous jugeons souhaitable de distinguer plus clairement les
doctorants en première insertion professionnelle et les autres. Ces
doctorants font en général leur doctorat en formation initiale, ou
en formation continue lors d'une de leur première insertion
professionnelle. C'est par exemple le cas des agrégés littéraires
jeunes qui effectuent une thèse tout en enseignant dans le
secondaire. C'est aussi le cas de doctorants qui ont connu une
interruption brève dans leur cursus, et éventuellement une
première expérience professionnelle.
Parmi les autres doctorants, les situations sont extrêmement
diverses. Des thèses faites à un âge plus avancé peuvent être
préparées dans le cadre de la formation continue au sens où le
doctorant en attend une retombée en terme de carrière. Cela peut
être le cas d'une personne travaillant en R & D dans une entreprise
et qui souhaite valoriser le travail de plusieurs années par une
thèse. Ces cas ne posent à la limite pas de difficultés : il
s'agit de personnes qui ont en général une situation matérielle
assurée. Les cas difficiles semblent plutôt se rencontrer chez les
doctorants en première insertion professionnelle. On peut alors
parler de précarité : survie avec moins de 2000 F par mois, sans
aucune protection sociale, à un âge avoisinant 30 ans, et parfois
avec charges familiales (enfants).
Malheureusement, le rapport de la DGRT ne permet pas de savoir quelle
est, dans la masse des doctorants financés par un salaire, la part
de ceux qui sont d'une part en première insertion et d'autre part en
situation précaire : sans financement, ou condamnés à des "petits
boulots" sans rapport avec le travail de thèse: ce sont les
"financements McDonalds".
On ne connait pas vraiment l'influence des différents types de
situations précaires, ou même sans financement spécifique (25) sur
le taux de soutenance. Or cela est à notre avis une information
cruciale dont il faudrait disposer. Nous en sommes donc réduit à
des questions pour ce qui concerne l'aspect statistique de la
question.
Mais sur le principe, nous avons exprimé dans [Rap95] notre
désapprobation face à ces situations précaires : nos propositions
sur le statut social du doctorant (26) visent en premier lieu à y
remédier. Pour finir, rappelons qu'on imagine mal un travail de
thèse avancant rapidement lorsque le premier soucis du doctorant est
celui de sa survie matérielle.
Financements et taux de soutenance : deux questions indissociables
Comme pour la question des taux d'encadrement doctoral en sciences
humaines, le problème est de savoir par rapport à quoi évaluer les
besoins en termes de financements.
S'il s'agit de partir des flux de doctorants actuels à
l'inscription, le non financement en sciences humaines est
abyssal. Mais les taux d'abandons sont colossaux (près de 55
%). L'argument souvent invoqué est celui du travail "gratuit pour la
Science" ou "fait pour soi". Mais que penser d'une thèse qui
n'aboutit pas, et pour laquelle le directeur de thèse n'a eu que
quelques contacts avec le doctorant. Reste-t'il une trace du travail
effectué? Plus crûment encore : la "Science" y gagne-t'elle quelque
chose?
On pourrait donc penser qu'il est plus pertinent d'évaluer le
problème du financement au vu du flux de doctorants calculé dans
l'hypothèse d'un taux d'abandon inférieur à 30 %. Dans ce cas, le
problème est nettement moins absyssal qu'à première vue. Dans le
tableau suivant, le flux entrant projeté de doctorants est évalué
sur la base des prévisions de flux de docteurs de 1998 données dans
[DGR95] avec un taux d'abandons en cours de thèse de 25 %.
4.2 Le problème du financement
Secteur | Flux projeté | Aides | Taux de financement |
DS 6 | 3144 | 748 | 0,24 |
DS 7 | 1829 | 762 | 0,42 |
Dans cette hypothèse, les taux de financements sont multipliés par deux par rapport aux taux observés dans le rapport DGRT 1995 pour les thèses commencées en 1994.
On est certes encore loin de la situation en sciences exactes mais cela montre clairement comment une amélioration du taux de soutenance pourrait, si elle s'accompagne d'une diminution des flux d'inscriptions, diminuer l'ampleur du problème sans diminuer nécessairement le flux de docteurs.
Les allocations du ministère de la recherche ont connu un rééquilibrage en faveur des sciences humaines ces dernières années. Ainsi, entre 1992 et 1995, on est passé de 800 à 964 allocations distribuées en sciences humaines et sociales alors que ce nombre passait de 1600 à 1473 pour les DS 2 (Physique et chimie) et 5 (Sciences de la vie). Cette nouvelle répartition a été guidée par l'observation des flux et débouchés dans les différents secteurs disciplinaires. Comme il apparaît clair que les DS 2 et 5 sont encore en surproduction de docteurs, la nouvelle répartion des flux est plutôt saine.
La régulation des flux Enfin, il convient de poser aussi la question du bien fondé d'une augmentation forte des flux de doctorants dans certaines disciplines. Ne lit t'on pas dans [DGR95, page 68], à propos du GER Sciences économiques et de gestion :
"Les perspectives d'insertion de ces docteurs ne peuvent pas être qualifiées de préoccupantes malgré la vive croissance du nombre des thèses (+24 % en un an)"
Rappellons que le flux de docteurs en DS7 est actuellement de 1035 docteurs pour 1994. La prédiction de la DGRT est de 1372 pour 1998 soit une augmentation de 33 % ! Le rapport [?] prévoyait d'ailleurs cette explosion du flux de docteurs en page 64.
Le nombre d'emplois de maître de conférences dans la DS7 est pour 1996 de 218 postes (27). Il est peu probable que ce nombre augmentera spectaculairement. L'insertion relativement bonne des doctorants du GER 7.2 reposera donc sur le développement d'une demande dans le secteur privé ou administratif.
Mais est-il raisonnable dans le contexte économique actuel de tabler sur une telle évolution? Ne vaudrait-il pas mieux adapter l'offre à une demande claire plutôt que de pratiquer une politique d'offre basée sur des intuitions?
On peut donc se demander si l'augmentation des flux de docteurs, et
donc de doctorants, dans certaines disciplines des sciences humaines
ne risque pas de les amener dans une situation proche de certains
secteurs sinistrés des sciences exactes, comme la chimie, la
physique et certains secteurs des sciences de la vie. À ceci près
qu'il n'y aura pas l'anneau de stockage des séjours post-doctoraux
pour amortir le choc... En cas de crise, on verra donc, ou bien le
problème des débouchés exploser avec encore plus d'acuité qu'en
sciences exactes, ou bien les abandons en cours de thèse se
multiplier pour cause de reconversion. Ces deux scénarios auraient
un très mauvais effet sur l'image de la formation doctorale dans le
monde extra-académique. Dans le premier cas, c'est évident : une
formation qui débouche sur de longues périodes de chômage est de
facto dévaluée. Dans le second cas, la multiplication d'abandons de
thèses donnerait de la thèse l'image d'un plaisir bohème, que l'on
commence ou que l'on arrête à loisir, c'est-à-dire à l'opposé de
ce que l'on attend d'une expérience professionnelle.
Cette analyse suggère que les modalités d'application
du contrat de thèse en sciences humaines, en particulier les
questions relatives au financement des doctorats et aux limitations
d'encadrement, touchent de près à la question centrale de la
finalité des études doctorales.
Nous suggérons que l'amélioration des taux de financements, et la
limitation du nombre de doctorants par encadrant impliquent une
modification des pratiques de formation doctorale en sciences
humaines. Il s'agit clairement d'un choix marqué en faveur d'un
certain rapprochement avec les pratiques en sciences exactes, en ce
qui concerne le suivi du doctorant, la durée des thèses, et
l'insertion du doctorant dans un environnement plus "professionnel"
durant sa thèse (contacts avec son directeur de thèse, avec les
autres doctorants).
Nous suggérons que l'amélioration des données quantitatives sur
l'encadrement doctoral passe par l'encouragement de personnels de
rang B à l'encadrement doctoral. Mais cela devrait aussi
s'accompagner de pratiques d'encadrement plus proches entre
doctorants et encadrants. L'objectif
serait de former mieux les doctorants et donc de faire chuter le taux
d'abandons en cours de thèse. Ceci rendrait par ailleurs le
problème des financements plus facile à aborder.
Il nous semble donc qu'il faille en passer par une diminution nette
(division par 2 au moins) des taux d'abandons pour espérer des
améliorations significatives sur ces questions.
A posteriori, on peut attendre un effet de ces évolutions (que nous
encourageons) sur l'image des formations doctorales dans le monde
extra-académique. À moyen terme, elle pourrait catalyser un
changement de mentalités sur la formation doctorale et avoir des
effets en termes d'emplois.
Conclusions
Secteur | ND | NA | EA | NA+B | EA+B | |
Sciences | 30900 | 10655 | 2,9 | 22070 | 1,4 | |
DS 6 et 7 | 37800 | 6214 | 6,1 | 12614 | 3 | |
21800 | 6214 | 3,5 | 12614 | 1,7 |
Les sciences économiques et de gestion, tout comme le droit, présentent par rapport aux autres une spécificité en matière de recrutement des professeurs d'université, spécificité d'ailleurs qui ne se retrouve dans aucun autre pays.
Ce recrutement passe par un concours au caractère académique constitué d'une sélection sur travaux et de trois leçons orales : l'agrégation de l'enseignement supérieur.
Sans entrer dans les détails de cette procédure, notons qu'il s'agit de préparer dans un temps limité (8 heures ou 24 heures pour la deuxième) et de présenter face à un jury composé de Professeurs, une intervention orale sur un sujet dévoilé au dernier moment (28). La deuxième épreuve originale, dont la préparation est collective (29) consiste à répondre à une question du jury choisie dans un thème plus général défini préalablement.
Ce travail de préparation collective pose d'ailleurs un problème d'équité dans la mesure où il avantage les équipes parisiennes par rapports aux provinciaux (connaissance des réseaux, bibliothèques, coût des déplacements...). Enfin cet exercice repose en partie sur un exercice de style très réglementé dans la forme.
Jean-Jacques Laffont, Professeur à l'Université des sciences sociales de Toulouse I, qui est une des figures actuelles des sciences économiques, fait état dans un article récent d'un débat qui s'enlise depuis des années sur ce mode de recrutement et qui concerne plus largement l'ensemble de la formation de 3ème cycle (30). Nous exposons en partie, ici, son argumentation qui montre quels peuvent être les débats autour des formations de troisième cycle et des filières de recrutement du monde académique dans cette discipline.
Jean Jacques Laffont remet en cause radicalement un tel fonctionnement. Il dénonce le caractère obsolète des modalités de l'agrégation du supérieur.
Mais sa critique va bien au-delà et vise clairement l'ensemble de la formation de troisième cycle. Il propose alors une refonte complète de l'ensemble du troisième cycle universitaire en Sciences Economiques qu'il considère comme inadapté.
Le modèle français, qui repose sur une charge d'enseignement réduite et sur une initiation à la recherche s'oppose au modèle qui s'est imposé dans d'autres pays où les études sont plus longues et destinées à fournir le bagage de l'économiste professionnel (maîtrise des notions fondamentales). Les étudiants sont alors lancés dans la recherche de haut niveau avec un objectif de publication dans les revues internationales. Par ce travail, l'économiste aux bases solides est apte à exercer le métier d'économiste professionnel dans une grande entreprise, une administration ou une organisation internationale. Laffont explique que le système français n'est pas actuellement en mesure de produire ce type d'économistes. Et il estime que les économistes français, sauf quelques rares exceptions, sont absents des conférences internationales et même européennes.
À l'opposé, en France, l'étudiant qui arrive en troisième cycle ne dispose généralement pas des bases générales et pour celui qui souhaite intégrer l'Université, l'agrégation du supérieur l'oblige à investir dans la maîtrise d'une culture générale -- mythe du savoir universel -- qui l'empêche de se spécialiser dans une recherche avancée. Par conséquent les thèses s'enferment dans des tours d'horizons et des spéculations générales. En terme de débouchés, les conséquences sont immédiates. Les administrations et les entreprises préfèrent recruter à des fonctions d'économistes, les élèves ingénieurs de grandes écoles qui, je cite, "en général ne savent pas grand chose de solide en économie".
Laffont avance alors quelques solutions pour restaurer la compétitivité en sciences économiques. Il évoque la supression de certains DEA pour les remplacer par des DESS. Pour répondre aux carences décrites du système, il trace à grands traits une formation de troisième cycle qui serait composée de 2 années d'études générales, d'une année d'initiation à la recherche et de deux années de thèse. Cette proposition est à comparer à la durée moyenne actuelle des thèses en Economie-Droit (DS7) qui est supérieure à 4 ans [DGR95].
Cet auteur propose aussi d'alléger l'agrégation du supérieur en insistant davantage sur les travaux de recherche du candidat. (Présentation des travaux devant un jury de spécialistes et de professionnels nationaux et internationaux suivie d'une leçon d'économie et d'un débat).
Pour conclure, Jean-Jacques Laffont fait de cette réforme dont les incidences peuvent aller jusqu'à revoir les enseignements de second cycle, un passage obligé pour rendre compétitive l'Université Française.
[CNR93] Bilan social du cnrs, 1993.
[dE&H96] Confédération des Étudiants-Chercheurs & HotDocs, Contribution aux états généraux de l'Université, Mai 1996.
[DGR95] DGRT, Rapport sur les études doctorales, December 1995.
[Rap95] Formation doctorale : enjeux, bilan, propositions, 1995.
(1) Qui, administrativement, relèvent des Directions Scientifiques 6 et 7.
(2) Il existe bien d'autres points de contact entre le milieu académique en sciences humaines et la société, mais nous nous limiterons à ce qui est en relation avec les formations doctorales.
(3) Au sens d'unité de recherche du CNRS, etc.
(4) Souvent un même batiment, ou un même étage.
(5) Et même dans Paris vu que 85 % des chercheurs CNRS du département SHS franciliens dépendent des délégations régionales de Paris intra-muros.
(6) L'apparition de l'outil informatique, son utilisation poussée en calcul numérique puis maintenant en calcul formel a suscité des évolutions.
(7) Le contrôle des télescopes de l'agence spatiale européene est en Allemagne !
(8) Voir Physics Today 42, décembre 1995, page 26.
(9) Le suivant étant les mathématiques avec 6,6 %.
(10) Groupe d'expertise et de Recherche
(11) En particulier l'agrégation du secondaire.
(12) La seule donnée objective dont nous disposons est l'âge moyen de recrutement CR1 -- qui n'est pas réglementairement plafonné -- et qui était de 39 ans en 1994 en SHS, contre 35 en moyenne et 32,2 en Sciences Physique et Mathématique. Il serait également intéressant d'avoir les âges de recrutement comme maître de conférence et de promotion au grade de professeur à l'université afin de les comparer suivant les disciplines.
(13) C'est à dire la valeur pour laquelle la moitié des thèses soutenues ont une durée inférieure et l'autre moitié une durée supérieure. Cette notion donne moins de "poids apparent" aux thèses longues que la durée moyenne.
(14) L'âge au dessous duquel se trouvent 75 % de la population observée.
(15) Travail solitaire, dégagé des contingences extra-académiques, thèses monumentales et très longues, calqué sur la pratique des chercheurs confirmés.
(16) Rang A seulement ou rang A et une partie des rang B.
(17) Les universitaires de médecine, odontologie et pharmacie ne sont pas comptés. Les médecins sont de loin les plus nombreux dans ces trois catégories. Si la formation doctorale tend à se développer en médecine, elle reste encore relativement marginale. Selon la DGRT, ce sont 1704 médecins qui sont en cours de thèse en 1995, à comparer aux 68703 inscrits.
(18) Par exemple par le biais d'une commission des thèses habilitée à demander un avis d'expert sur le projet d'encadrement.
(19) Avec les notations de l'appendice A, E A+B de l'ordre de 1,7 contre 1,4 en sciences exactes.
(20) Voir aussi le rapport [?] pages 9 et 10, et aussi le premier chapitre pour une réflexion sur les modalités d'action de l'état en matière de recherche.
(21) Autres que les allocataires de recherche du ministère.
(22) Rubrique autres aides dans le tableau de la page 51 du rapport [DGR95].
(23) Enfin, espérons le...
(24) Données pour les docteurs ayant soutenu en 1994.
(25) Type allocation MESR, bourse des organismes de recherche, convention CIFRE, bourse régionale ou européenne, etc.
(26) Relatives au financement des doctorats et aux prestations sociales afférentes.
(27) Sûrement un peu moins par le jeu habituel des mutations, détachements, etc.
(28) Le candidat a le choix d'une spécialité pour la troisième épreuve.
(29) Le candidat constitue une équipe de travail.
(30) Article publié dans la Revue déconomie Politique en Mars-Avril 1995.
contact @ cjc . jeunes-chercheurs . org © 1996-2024 Confédération des jeunes chercheurs.
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) a été mis à jour le 10 juin 2007