Pour la CJC :
Pour le Sénat :
Ce texte est issu des notes de préparation de l'audition.
Les jeunes chercheurs sont au coeur des débats sur l'avenir de la recherche car ce sont les premiers concernés. En effet, un des enjeux majeurs pour les prochaines années est de parvenir à attirer les meilleurs scientifiques dans notre système de recherche, public et privé.
Quel constat peut-on faire en la matière ?
Tout d'abord les jeunes chercheurs, c'est-à-dire les doctorants et les nouveaux docteurs non-permanents, constituent une population nombreuses : plus de 70 000, soit autant que les chercheurs et enseignants-.chercheurs permanents.
Ce nombre a fortement augmenté depuis le début des années 1990, suite à une politique volontariste.
Mais cette politique n'ayant pas été accompagné de dispositifs de contrôle et de programmation, l'augmentation de la population des jeunes chercheurs a engendré un certain nombre de problèmes, non résolus à l'heure actuelle.
Ces problèmes sont les suivants :
augmentation du nombre de doctorants non financés, donc travaillant bénévolement ;
augmentation du nombre de doctorants travaillant sans
être déclarés, par le recours aux
« libéralités » ;
augmentation du nombre de docteurs contractuels
(post-doc) travaillant sans être déclarés
;
augmentation du nombre de docteurs s'expatriant et ne
revenant pas ;
augmentation des abandons en cours de thèse
;
augmentation du nombre de doctorants par directeur de thèse.
Ces problèmes, particulièrement inquiétants pour l'avenir de notre recherche ont des causes connues.
Une première cause est le manque chronique de moyens
consacrés à la recherche (la part du PIB consacrée à la
recherche n'a cessé de diminuer depuis le début des années
1990 où il avait atteint 2.4%), alors que les attentes en
terme de résultats sont grandes. Le recours aux doctorants
constituant une main d'oeuvre peu coûteuse est alors un
moyen aisé pour répondre à ces
attentes.
Les autres causes concernent plus directement la formation doctorale : en l'absence de contrôle de l'encadrement des thèse et du taux de financement, il est logique de constater une augmentation des abandons de thèse et un allongement des durées du doctorat dans certaines disciplines. Par ailleurs, l'absence d'un cadre juridique clair définissant le doctorat conduit assez naturellement au développement de mauvaises pratiques, dont le recours au travail au noir.
Enfin, en l'absence d'une réflexion sur la gestion des flux, les recrutements dans le système public de recherche et d'enseignement supérieur ne suivant pas l'augmentation du nombre de doctorant, le « stock » de docteurs formés a considérablement augmenté à partir du milieu des années 90. La capacité d'absorption du tissu socio-économique étant lui aussi limité, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, le nombre de chercheurs docteurs contractuels (que l'on appelle souvent « post-doc ») a explosé. Ces docteurs, que l'on encourage à partir à l'étranger, y restent bien souvent, parfois par choix, mais bien souvent par impossibilité de revenir.
Nous nous retrouvons ainsi dans un système qui engendre un grand gâchis, puisqu'un grand nombre de doctorats ne sont pas menés à bien, et puisque les docteurs formés ont du mal à s'insérer sur le marché du travail, qu'il soit public ou privé.
Faire un doctorat aujourd'hui relève donc du parcours d'obstacle.
Qu'un pays comme le notre apporte si peu d'attention à la formation de ses chercheurs n'est pas sérieux.
Mais au-delà de ce constat, il est possible de dégager un processus, à l'oeuvre sur les 30 dernières années. Ce processus est celui de la reconnaissance du caractère professionnel du doctorat, c'est-à-dire la considération de la période de préparation du doctorat comme une expérience professionnelle au sens propre du terme. Il s'agit, à travers plusieurs mesures cohérentes les unes avec les autres, d'une progression vers une transformation graduelle de l'expérience doctorale et de la formation par la recherche en une activité professionnelle reconnue juridiquement et économiquement en tant que telle.
Et après 30 ans de dispositions progressives, la professionnalisation du doctorat doit maintenant être achevée au plus vite, car elle est aujourd'hui concurrencée par un processus inverse de précarisation des jeunes chercheurs engendrée par l'augmentation rapide et mal encadrée de leur nombre.
Ce processus de professionnalisation commence dès 1976 avec la création des allocations de recherche. Il s'agit de contrat de travail assurant au doctorant un salaire, donc une protection sociale et des droits, qui lui permettent de réaliser son travail de recherche dans de bonnes conditions. On peut noter d'ailleurs qu'au moment de la mise en place de ces allocations, le salaire initial avait été fixé à 1.5 fois le SMIC de l'époque, révélant par là une réelle ambition d'attractivité. À titre de comparaison, cette allocation est aujourd'hui à peine supérieure au SMIC.
Après l'allocation de recherche, d'autres dispositifs sont venus compléter et diversifier le processus : la mise en place des conventions CIFRE en 1981, rendant possible le recrutement de doctorant par une entreprise, qui le salarie avec la participation de l'État.
Les EPST, tels que le CNRS, l'INRA ou l'INRIA, dans le cadre de la loi de 1982 se sont eux aussi mis à proposer des contrats de travail à durée déterminée pour des doctorants. Des EPIC, comme le CEA, le CNES ou l'ONERA, emploient également des doctorants avec toutes les garanties d'un salaire.
Suivant le même mouvement, vers la fin des années 90, les collectivités territoriales, avant tout les Régions, qui proposaient jusqu'alors des financements sous forme de « libéralités », les ont transformé pour en faire des CDD.
Dernière mesure en date, le ministère chargé de la Recherche a décidé l'année dernière d'engager un processus de transformation en CDD des libéralités proposées par des associations caritatives. Ainsi le budget 2004 prévoit la normalisation de 300 libéralités pour des doctorants. La volonté du ministère est que ce processus monte en puissance dès le prochain budget.
Il faut désormais aller au bout de ce processus de reconnaissance du caractère professionnel du doctoral, qui se traduit par la salarisation de ces jeunes chercheurs dans le cadre d'un contrat de travail. Nous ne pouvons continuer à faire perdurer un système inégalitaire où deux personnes effectuant le même travail dans un même laboratoire se retrouvent dans des situations juridiques, sociales et économiques complètement différentes, où l'un sera couvert par un contrat de travail et payé pour le travail qu'il fournit, tandis que l'autre travaillera bénévolement, en dehors de tout cadre juridique, se voyant obligé de souscrire à une assurance personnelle en cas d'accident du travail, et concurrençant la propriété intellectuelle du laboratoire puisque n'étant pas lié à lui, il est le propriétaire naturel de ses découvertes.
Il faut souligner que tous les acteurs du systèmes ont à
gagner dans ce processus. Pour les jeunes chercheurs, il
s'agit de leur garantir les mêmes droits que n'importe quel
travailleur, c'est-à-dire un contrat de travail, un salaire,
une protection sociale. Pour le système de recherche, il
s'agit de rendre les métiers de la recherche attractifs, et
de s'assurer de la qualité du travail fourni. Il s'agit
aussi, aspect non négligeable, de garantir la propriété
intellectuelle des structures de recherche. Car un chercheur
qui n'a pas de relation contractuelle avec un organisme de
recherche n'est pas soumis aux règles de confidentialité, et
est reconnu par ailleurs juridiquement comme auteur dans le
cas de travaux de recherche qui conduirait à une prise de
brevet par exemple. Il détient un droit de copropriété, et
la cessation de ces droits nécessite la signature entre le
chercheur et son organisme.
Que reste-il à faire ?
Pour achever le processus dont on a parlé, il faut agir sur plusieurs fronts.
Tout d'abord, il faut enfin parvenir à définir un cadre juridico-économique commun d'attaché scientifique contractuel.
La solution n'est certainement pas dans un statut de fonctionnaire titulaire pour tous les jeunes chercheurs. Même si des formes de pré-recrutement existent et sont à encourager, il est important de garder en mémoire que tous les docteurs ne sont pas destinés à entrer dans le service public de recherche et d'enseignement supérieur.
Ce qu'il est impératif en revanche, c'est que tous aient un statut de salarié, de droit public ou privé selon les cas, envisagé dans un dispositif-cadre généralisé à tous les jeunes chercheurs.
Ce dispositif devra prévoir notamment :
un salaire minimum raisonnablement attractif
;
un accès à l'action sociale ;
un décompte de l'ancienneté pour les concours
;
l'accès aux mêmes moyens que les chercheurs titulaires
;
la reconnaissance et l'encadrement des activité annexes (telles que l'enseignement).
Ce cadre juridique est un objectif. Pour le rendre efficient, il faut prévoir un certain nombre de dispositifs incitant au changement des pratiques actuelles, notamment par :
la mise en place d'un dispositif d'évaluation de
l'encadrement des doctorants pour éviter les abus (trop de
doctorants par dir. De thèse) ;
la mise en place d'un processus transitoire visant
l'extinction des inscriptions en doctorat non financées
;
l'incitation à la transformation des libéralités en salaire.
Afin d'assurer la salarisation pour tous les jeunes chercheurs, il sera important par ailleurs d'augmenter les sources existantes de financements et de les diversifier.
Par exemple :
élargir et adapter le modèle de partenariat avec les
entreprises des conventions CIFRE au para-public, aux
associations, et plus généralement au secteur tertiaire
privé ;
Développer les financements par les collectivités
territoriales, par certaines administrations, et par les
ministères qui participent déjà à l'effort de recherche
;
Faciliter les financements par des consortiums (public, privé, fondations, para-public, etc.). L'idée d'une agence de mutualisation des financements a été avancée depuis longtemps et mériterait d'être étudiée.
Deux versants peuvent être distinguer dans cette
réflexion : les débouchés dans la recherche et
l'enseignement supérieur public qui ont leurs spécificités, et
les autres débouchés.
L'emploi
scientifique public dans les universités et les EPST souffre
d'une mauvaise visibilité pour les jeunes chercheurs, qui
dénoncent souvent l'opacité des recrutements. Globalement
chacun s'accorde à dire qu'il faut rénover l'emploi
scientifique, jugé trop rigide et trop fermé sur
lui-même.
Le but d'une telle rénovation doit être à nos yeux l'attractivité et le dynamisme des métiers de recherche et d'enseignement supérieur.
Pour cela, il semble nécessaire de refondre la palette d'emploi scientifique, les modalités de recrutement et d'évaluation. Dans cette refonte, il faut retenir les atouts dont dispose la France aujourd'hui.
Un de ces atouts est, ou a été, le recrutement jeune, c'est-à-dire juste après le doctorat, sur des emplois stables. C'est un atout en terme d'attractivité, que beaucoup de chercheurs étrangers nous envient d'ailleurs. Il nous semble primordial de conserver ce recrutement jeune sur emploi stable (environ dans les 2 années qui suivent la thèse). En effet, la France n'est pas en mesure de rivaliser sur le plan de l'attractivité des salaires avec un pays comme les Etats Unis, qui attirent beaucoup de chercheurs étrangers. Jouons donc avec nos propres armes.
Ce recrutement jeune sur emploi stable n'est pas antagoniste avec un système dynamique et ouvert à la mobilité. Cette mobilité est souvent mise en avant pour ses vertus indéniables, mais est rarement pensée de manière efficace. Nous pensons qu'il est beaucoup plus positif de la concevoir et de l'encourager après recrutement. Ceci présente des avantages pour les deux parties : pour le jeune chercheur, c'est la garantie d'un retour possible et de perspectives d'avenir valorisantes. Pour l'organisme recruteur, c'est l'assurance que les compétences du chercheur bénéficieront à la France, et la possibilité de pérenniser des liens avec l'étranger, de renforcer son réseau international. Il s'agit alors réellement d'entrer dans un processus de « circulation des cerveaux », comme Mme Haigneré aime à l'appeller, processus tout à fait sain pour la recherche.
La pratique actuelle du « post-doc » ne permet pas ces avantages, et participe au contraire à ce qu'on appelle la « fuite des cerveaux » car le phase de retour n'est absolument pas organisée.
On entend ici et là des volontés de généralisation de ces pratiques du post-doc, à l'étranger ou en France, mais aucune justification argumentée ne vient expliquer cette généralisation. Il s'agit bien souvent uniquement de pallier au manque de postes et de s'assurer d'une main d'oeuvre peu coûteuse et flexible. Mais ce n'est pas ainsi que l'on rendra attractif le système français de recherche. On ne le rendre pas non plus plus performant car on peut s'interroger sur la capitalisation des compétences des laboratoires dans un système où les non-permanents deviennent la norme.
Nous préconisons donc plutôt de réfléchir aux moyens de garantir des recrutements de qualité très tôt après la thèse, plutôt que d'avoir recours à une rhétorique consistant à faire croire que les jeunes chercheurs ne sont jamais assez formés pour avoir accès à un emploi stable. Pour cela, il faut revoir les procédures de recrutement et les professionnaliser. En forçant le trait, il est en effet absurde de recruter à vie un chercheur en ne l'ayant auditionner que 20 minutes.
Il faudrait aussi sans doute sortir de la logique du « poste sec », en essayant d'intégrer dans l'emploi des moyens matériels, des facilités d'aménagement du temps, l'aide à la mobilité, etc.
Enfin, le doctorat n'est pas seulement une formation pour la recherche publique. La France a un retard considérable en la matière. Le doctorat n'est pas reconnu à sa juste valeur dans le secteur privé. Les raisons en sont multiples, mais on peut résumer cela à l'absence d'une véritable « culture de la recherche » dans les entreprises mais aussi dans l'appareil d'Etat. Cela est dommageable car en ne reconnaissant pas les qualités des docteurs formés et l'intérêt de leur expérience de recherche, les entreprises et les administrations se ferment de nombreuses opportunités.
Il y a là un double travail à mener : d'un côté il faut sensibiliser encore davantage les doctorants aux autres secteurs d'activités que le public et leur faire prendre conscience que leur doctorat leur fait développer des compétences autres que scientifiques et qui intéressent les entreprises. De l'autre il faut valoriser et faire connaître le doctorat dans ces secteurs.
Cela pourra passer entre autres, par la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives.
L'Etat peut jouer un rôle en la matière :
par l'inscription du doctorat dans les grilles de la fonction publique et en ouvrant aux docteurs les concours de la haute fonction publique.
En utilisant des leviers favorisant l'embauche de docteurs. Le Crédit Impôt Recherche pourrait être l'un de ces leviers.
En réfléchissant à des campagnes de valorisation du doctorat avec les partenaires sociaux, en particuliers les organisations patronales, et en collaboration avec les organisations de jeunes chercheurs.
Il faut avoir à l'esprit que la recherche et l'innovation privée ne pourront être réellement développées en France que si celles-ci recrutent des personnes formées par la recherche ou ayant une expérience de la recherche. C'est à la condition d'une entrée massive de docteurs dans le secteur privé que ce dernier acquerra une culture de la recherche. Il y a là comme une pompe à amorcer, car une fois cette culture acquise, elle s'auto-alimentera grâce à ces personnes formées à la recherche et à leurs réseaux.
Enfin, M. Laffite se dit intéressé par toute proposition très concrète (de type avant-projet de loi) de notre part concernant l'évolution du stutut juridique des doctorants. Nous expliquons que nous n'avons pas forcément les moyens et les compétences pour aller aussi loin, mais nous travaillons cependant dans cet esprit. Nous avons par exemple rédigé un avant-projet de loi concernant la représentation des jeunes chercheurs dans le système d'enseignement supérieur.